Ce Roussillon si souriant

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«Nous sommes des nains sur des épaules de géants », est-il écrit sur le site de Philippe et Nathalie Gard, vignerons à la Coume del Mas, du côté de Banyuls-sur-Mer. Et plus loin : « […] Depuis l’époque romaine, on construit et on entretient les murets de pierre sèche et les canaux d’évacuation d’eau, suivant les mêmes codes et de la même manière : avec ses mains. Si la volonté et la constance des hommes avaient vacillé à un moment de l’histoire, l’érosion aurait oeuvré, et sous l’action de la pluie, du vent, le sol aurait lentement glissé, rendant toute culture inenvisageable […]. »

Des vignobles qui, à l’image du Priorat, du Douro ou de la Côte Rôtie, ne seraient plus ici que champs de hamacs colonisés par des lézards hagards si l’homme avait abdiqué.

Mais il ne l’a pas fait. Nous sommes en Roussillon, pays des Gauby, Roc des Anges, Clos des Fées, Puig-Parahy, Lafage, Mas Amiel, Cazes et autres Jean Gardiés. Des gens solides qui n’ont rien du gentleman farmer métrosexuel épilé-manucuré dont le rendement portefeuille va de pair avec celui du terroir.

Pays aussi de glorieux grenaches, de centenaires carignans et de ce mourvèdre de caractère, qui, sous des ensoleillements à rendre fou, s’échinent à forer ces schistes, argiles et calcaires décomposés pour mieux livrer des rendements de misère.

Bref, faut être sacrément « maso-schiste » pour sarcler une telle terre de Caïn !

Qu’est-ce qui pousse alors ces femmes et ces hommes à entretenir pour mieux magnifier ce coin de pays catalan adossé à l’Espagne ? J’avoue ne pas comprendre.

Mais j’avoue aussi être fasciné par ce paradoxe qui veut que blancs, rosés, rouges et moelleux locaux, loin de s’à-plat-ventrir sous l’oeil luisant de l’astre méridional, trouvent à rebondir sous l’impact direct de l’altitude de plantation et du caractère fortement minéral des sols.

Une alliance de fraîcheur « froide », de fruité découpé au silex et de tanins fins et « serrants », pour une tenue de bouche jamais avachie. Malgré un titre alcoométrique volumique conséquent. Un petit miracle, en somme.

Jean Gardiés : classe et discrétion

Derrière Rivesaltes, avec 50 hectares répartis parmi les terroirs d’Espira-de-l’Agly (schistes noirs) et de Vingrau (argilocalcaires), Jean Gardiés semble si intime avec ses nombreuses parcelles, si dévoué à ses terroirs, si près de ses cépages et attentionné à ses « vinifs » qu’il aurait été inélégant de soulever l’observation en compagnie de Mme Gardiés, qui l’accompagnait au Québec la semaine dernière. L’adultère végétal a tout de même ses limites ! Et là, je ne parle pas de ses groupies, comme la chanteuse québécoise Catherine Major, qui ne jurent que par sa cuvée Mas Las Cabes (18,30 $ – 11096159) au fruité coloré, fourni, frais, épicé et substantiel, et dont le 2012 disparaît déjà rapidement des tablettes. Une entrée de gamme qui ouvre déjà grande la porte au beau Roussillon. (5)★★★

La suite confirme que, même à 24 $, 32 $ et 64 $, les vins de Gardiés sont de calibre non seulement à émouvoir le véritable amateur de vin qui sait faire de bonnes affaires, mais aussi à faire rager d’envie les collègues vignerons qui cherchent encore chez eux l’adéquation parfaite cépage/terroir.

Avec les Millères 2012 (24 $ – 10781402), l’apport de 15 % de carignan vinifié en grappes entières déverrouille l’expression aromatique, galbe le palais et porte le fruit, autant sur la texture que sur la tension, longuement. Vin de caractère. (5 +)★★★ ©

On passe de 40 à 70 % de grenache noir pour ce Clos des Vignes 2011 à venir (le 2009 est disponible à 32 $ – 10781445), mais surtout l’exaltation aromatique monte d’un cran, d’une classe folle, en fait. L’harmonie y est parfaite, le fruité intégré et fondu, avec ce long velouté de finale. Stylé ! (10 +)★★★★ ©. Même proportion de 70 %, mais avec du mourvèdre (+grenache et carignan) cette fois, avec la cuvée La Torre 2011 (61,25 $ – à venir), un mourvèdre bien calé sur ses argiles et schistes noirs, à la fois dense mais frais, floral et précis, avec ces tanins maillés serrés, cette profonde finale épicée. Simplement, une merveille. (10 +)★★★★1/2 ©.

Enfin, Les Falaises 2011 (le 2007 est disponible à 64,25 $ – 11545217), où les vieux carignans de 90 ans (+grenaches et syrahs) sont issus des calcaires de Tautavel et passés en demi-muids, ne brille-t-il pas ici seulement par sa vivacité ? Mais il témoigne aussi, au nez comme au palais, d’une exceptionnelle pureté de fruit. À la fois épuré et de grande clarté. Ce 2011 fera date(10 +)★★★★1/2.

Terminons en blanc, comme il se doit, avec Les Glacières 2013 (23,90 $ – 12013378) où les grenaches blancs et gris, ainsi que roussannes et macabeus, assurent un roulement exemplaire, aromatique et précis, à la fois vivace et moelleux en bouche. Excellente affaire à ce prix, mais dépêchez-vous, il y a preneurs ! (5) ★★★1/2 ©

 

Si l’espace me manque pour parler de ces grands mutés du Roussillon qui ont pour noms Banyuls, Rivesaltes et Maury (nous y reviendrons) et qui semblent malheureusement, pour ne pas dire honteusement boudés par le grand public, remontons tout de même la côte Atlantique pour aboutir en Charente, pays, bien sûr, du grand, que dis-je du très digne cognac mais aussi de son Pineau des Charentes, lui aussi visiblement snobé par les amateurs. Sa qualité, son prix et les nombreuses occasions pour le boire devraient pourtant nous mettre sur la piste… enfin.

Vrai. Qui n’a pas essayé ladite mistelle à l’apéro, dans sa version or ou rubis, servie fraîche ou avec glaçons, allongée avec un zeste ou non, sur une mousse de foie de volaille, foie gras, fromage bleu, cheddar, tarte aux fruits ou chocolat noir ?

Des accords qu’un simple jus de raisin frais, couplé à un jeune cognac, transforme et élève brillamment. Jean-Louis Brillet, de la maison éponyme, n’avait pas à me convaincre de la chose cette semaine.

L’affaire familiale d’une cinquantaine d’hectares, en Grande et Petite Champagne exclusivement, s’appuie sur une source de cognacs bien nés pour ennoblir son Pineau Prestige (26,80 $ – 733162), mesuré sur le plan de la douceur, velouté sur celui de la texture, moins salin, en quelque sorte, que ceux provenant de vignobles en bordure de mer.

Classieux, aurait dit Gainsbourg, qui aurait lui-même ajouté trois gouttes de gin pour l’éclaircir et lui amadouer la sucrosité. ★★★1/2.

Les cognacs, pour leur part, sont issus des fruits de terroirs exclusifs, jamais assemblés entre eux. Ce Réserve VSOP Grand Cru Petite Champagne (66,75 $ – 10685373), avec ses huit ans de fût, amplement parfumé, séduit par son amplitude et déjà avec un satiné de bouche enviable. ★★★1/2. Alors que la Très Vieille Réserve XO 1er Cru Grande Champagne (175 $ – 10685381), avec ses 15 ans de pension en fût (minimum légal de six ans pour le X.O.), ouvre plus largement la porte aromatique, évoluant par paliers successifs avec ses saveurs de pain d’épice, de miel, de rancio noble. D’une harmonie parfaite ! ★★★★1/2.

Enfin, du haut de ses 30 ans d’âge, le Très Rare Héritage Grande Champagne (672 $ – 12114259) multiplie les pistes avec son registre cèdre-santal-havane, son tracé satiné stylisé, sa parfaite harmonie et sa longueur, messieurs-aames, sa longueur… ★★★★

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