De la terre à nos verres

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Mangez sain, buvez sain et, entre une bouchée et une gorgée, respirez par le nez, mais surtout… respirez sain. Tout de même mieux que de manger moche, de boire tout croche et de ne pas respirer du tout. « Évident, mon cher Watson ! », aurait lancé le célèbre détective, qui, du coup, aurait aimé départager ce qui fait la différence entre un vin issu d’une agriculture classique, raisonnée, biologique ou biodynamique.

Mais voilà, le personnage a vu le jour à peu près au même moment où la fameuse bouillie bordelaise (1883-1885) a fait, elle, son apparition dans le vignoble, à titre d’algicide et de fongicide, pour contrer le non moins fameux mildiou qui faisait rage alors. Une petite quarantaine d’années seulement après qu’un industriel allemand eut créé les premiers intrants chimiques.

L’agriculture est alors des plus classiques, avec une bonne dose de fumure, de compost ou d’engrais de mouton, balancée dans le vignoble comme sur les navets, les patates et autres topinambours, alors que la chimie de synthèse et, bien sûr, les lobbyistes qui l’accompagnent se profilent à l’horizon.

Ce sont ces mêmes oiseaux de malheur qui, au cours du siècle suivant, feront péricliter, tout en les boostant comme des athlètes gavés aux stéroïdes, ces vignobles abonnés aux produits phytosanitaires. Au point où plusieurs régions, notamment la Bourgogne, la Champagne et le Bordelais, se retrouveront avec des sols biologiquement morts, comme le faisait entendre sur toutes les tribunes le pédologue et microbiologiste français Claude Bourguignon. Les décennies 1960, 1970 et 1980 sont là pour en témoigner. Les vins aussi.

Et la vie, alors ?

Un lecteur assidu me faisait parvenir récemment les résultats d’une étude de la britannique Pesticide Action Network (PAN) : « Une grande partie des fongicides synthétiques appliqués aux raisins présente d’importants risques pour la santé humaine. Par exemple, les dithiocarbamates, une famille de produits chimiques qui représentent 49 % des fongicides appliqués aux raisins et qui comprennent les pesticides manèbe et mancozèbe, qui sont à la fois classés par l’UE comme substances carcinogènes et perturbateurs endocriniens.

« D’autres fongicides appliqués en plus petites quantités, comme la procymidone, l’iprodione, le folpet ou l’iprovalicarbe, sont connus pour leurs dangers pour la santé humaine. »

Avec des amis comme ça, pas besoin d’ennemis. Vive la vie, quoi !

On y apprend, de plus, que 100 % des vins conventionnels (culture intensive) ont été testés contaminés à des niveaux — tenez-vous bien par la rampe de l’escalier (!) — qui seraient de l’ordre de 5800 fois plus élevés que pour l’eau potable !

Évidemment, à raison de 10 bouteilles de vin par jour pendant 100 ans, ça peut faire tache et développer un embryon de cancer, mais ceux qui pensent encore que le raisin vit avec indolence, insouciance et naïveté sa petite vie de raisin sur la vigne, sous l’oeil amusé du soleil et les guilis-guilis de coccinelles trop entreprenantes, devront tout de même réviser leur perception.

Le verre de vin que vous buvez — sans vouloir enfoncer le clou ni décevoir personne — n’est que le fruit de l’environnement qui l’a vu naître. Le principe même des vases communicants.

La réglementation du ministère français en matière d’agriculture biologique nous apprend que « le terme « agriculture biologique » apparaît en 1991 dans un règlement européen qui reconnaît officiellement ce mode de production ». Elle préconise, de plus, que « […] l’agriculture biologique vise une gestion durable de l’agriculture, un respect des équilibres naturels et de la biodiversité et la promotion des produits de haute qualité dont l’obtention ne nuit ni à l’environnement, ni à la santé humaine, ni à la santé des végétaux, des animaux, ou à leur bien-être. »

Elle termine ainsi : « La viticulture biologique est un secteur en plein développement. Le nombre d’exploitations viticoles biologiques a été multiplié par deux en trois ans (2007 à 2010), passant de 1907 à 3945. La part des surfaces viticoles conduites selon le mode de production biologique dépasse l’objectif des 6 % depuis 2010. » Voeux pieux ou écran de fumée pour rassurer le consommateur ?

Plusieurs vignerons avouaient que la certification bio avait été diluée, lors de négociations à Bruxelles, avec, par exemple, des baisses encore trop peu importantes du niveau de métabisulfites dans les vins, aux yeux des pratiquants purs et durs du bio. L’industrie, qui a mis tout son poids dans la décision, s’en trouve rassérénée et voit l’avenir du logo bio comme un vecteur efficace pour se rallier le consommateur convaincu de boire bio sans trop se poser de questions. Mais le bio l’est-il… véritablement ?

Je notais récemment cette perle sur une contre-étiquette : « Vin issu d’une culture raisonnée qui protège la biodiversité tout en soutenant les écosystèmes par des traitements minimums. » Cela paraît convaincant. Mais cette même culture raisonnée pourra toujours se draper dans ses voeux pieux tendance bio, elle nécessite tout de même l’apport de produits de synthèse pour opérer.

Et que dire de ces vignobles cernés de toutes parts par des productions industrielles où les pesticides sont rois et qui prétendent à la certification bio ? C’est un peu comme boire l’eau d’une rivière en aval d’un gisement minier du côté de Malartic ou de Sept-Îles ! Il y a tout de même des limites à rouler le consommateur dans la farine (même bio).

Je laisse le mot de la fin à Gérard Bertrand, vigneron propriétaire en Languedoc (Le vin à la belle étoile, Éditions La Martinière) : « Je ne comprends pas comment on peut laisser travailler des gens dans un vignoble où sévit une forte contamination aux produits chimiques. Soyons cohérents et assumons nos responsabilités. Vis-à-vis de la nature mais surtout de l’humain qui s’en nourrit. » Un sage qui a compris le principe des vases communicants.

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