La nouvelle pyramide toscane

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La pyramide toscane des vins évoque une série de poupées gigognes où la plus petite résume à elle seule toutes les qualités des autres. « Dans les p’tits pots les meilleurs onguents », disait d’ailleurs ma grand-mère. Du moins, c’est ce que nous laisse entendre la nouvelle réglementation qui, depuis janvier 2013, a officialisé l’appellation Chianti Classico Gran Selezione.

Qualitativement — c’est l’impression, du moins, que le consortium veut donner comme image —, nous sommes au top du top de la pyramide. Une toute petite poupée (10 % des volumes du Chianti Classico) que les 600 membres dudit consortium veulent mettre en valeur quand le millésime le permet.

Parmi les 142 maisons qui aspiraient à la chose en février  2014, seuls 95 des vins produits ont eu droit à la nouvelle mention. Cette surqualification est-elle de la poudre aux yeux servant à booster une industrie qui veut reléguer aux oubliettes une appellation « chianti » de plus en plus snobée par une élite qui a tout-vu-tout-bu tout en fixant les prix à la hausse ? Résumons.

Nous sommes en 1398. L’aire de production Chianti voit le jour et se réfère à un vin blanc, 13 ans seulement après que les ancêtres florentins du marquis Piero Antinori eurent démarré leur propre production. Aujourd’hui, l’aïeul Giovanni di Piero Antinori ne serait pas peu fier du Santa Cristina Chianti Superiore 2013 (17,80 $ – 11315411 – (5)★★1/2) livré par son descendant et ses trois filles 26 générations plus tard, car il résume, à lui seul, les qualités simples d’un bon verre de chianti.

Pour qui se souvient, alors que Philippe de Rigaud de Vaudreuil reprend son poste de gouverneur en Nouvelle-France et que les « sauvages » érigent le village de Kahnawake au sud d’Hochelaga, où ne patine pas encore au Centre Bell le Canadien qui aspire aux séries éliminatoires 2015, le grand-duc de Toscane Cosimo III, lui, circonscrira pour cette même année 1716 la zone du Chianti sise entre Florence au nord et Sienne au sud. Plus précisément autour des villages de Radda, Gaiole, Castellina (et, plus tard, Greve). Le fameux vino vermilho, alors guilleret, acide et légèrement perlant, est sur toutes les lèvres.

Mais c’est sans connaître la législation italienne qui, une fois de plus, va chambouler tout ça. Dès 1932, la commission Dalmasso ouvre déjà la voie à une superficie viticole encore plus large que la zone historique désignée avec l’addition de sept aires (Colli Aretini, Colli Fiorentini, Colli Senesi, Chianti Rufina etc.), mais aussi celle de Chianti dont le terme spécifique « Classico » est alors greffé.

L’intention derrière la démarche de Delmasso et de ses hommes ? Généraliser le nom de chianti, qui devait être considéré «… comme un grand vin […] non pas comme un vin réservé à une petite clientèle aristocratique, mais comme un vin destiné à un large public, en Italie comme à l’étranger ». Une démarche démocratique louable mais qui a fait patate car… car c’est tout le contraire qui s’est produit.

En entérinant la démarche fixant le terme « Classico » au chianti en question, le « simple » chianti, lui, se voyait d’office exclu de la zone de production originale délimitée en 1716. Avec la création du statut de Dénomination d’origine contrôlée et garantie (DOCG) un demi-siècle plus tard (1984), le Chianti Classico enfonçait le clou dans le cercueil du chianti qui, lui, se voyait refoulé au niveau de vin d’opérette, voire de pacotille.

Bref, et pour faire court, la poupée gigogne périphérique « chianti » qui se voulait être la star ultime de Toscane, avec un rayonnement fort à l’extérieur du pays, doit composer aujourd’hui avec ces Chianti Classico, Chianti Riserva et maintenant Chianti Classico Gran Selezione, poupées gigognes certes plus petites qu’elle au niveau format, mais largement plus valorisantes côté réputation.

Officiellement, depuis 2010, une nouvelle réglementation interdit tout bonnement la production de chianti dans la zone de chianti classico. À ce jour, seul le chianti est encore autorisé à inclure des cépages blancs dans l’assemblage final (une aberration, à mon avis).

Et ce Chianti Classico Gran Selezione ?

Disons que les amateurs de « supertoscans » ne seront pas pris au dépourvu. Du moins en ce qui a trait à l’aspect haute couture des vins. Vous êtes sensible depuis le milieu des années 1970 au charme des fameux Tignanello et autres Solaia ?

Vous ne serez pas déçu par le remarquable Badia a Passignano 2009 Chianti Classico Gran Selezione (43 $ – 403980) que Francesco Visani, de la maison Antinori, nous présentait récemment au Québec.

Si la mention Gran Selezione oblige le vigneron à n’utiliser que le fruit des meilleures parcelles d’un même vignoble (80 % de sangiovese au minimum), avec un élevage de 30 mois de fût (plus de trois bouteilles) contre 24 mois pour le Chianti Riserva et 12 pour le Chianti Classico millésimé, elle précise du coup une traçabilité accrue avec, au final, une notion plus crédible de « lieu ».

Le domaine de Badia a Passignano, situé à un jet de pierre de la Tenuta Tignanello, est non seulement un brillant exemple de sangiovese vinifié en monocépage, mais il témoigne avec une rare pertinence que ce grand cépage peut aussi se tenir debout sans ses béquilles canaiolos, colorinos, merlots ou autres cabernets-sauvignons.

Radieux sur le plan de l’expression, mûr, texturé, profond sur celui de la texture, de la longueur. Ce « Badia » est un grand vin, à prix très étudié. (5+)★★★★ ©

« Concernant la création de ce nouveau concept « Gran Selezion », n’aurait-il pas été plus simple de resserrer à la base les critères du Chianti Classico au lieu de créer un autre niveau de classification susceptible d’égarer un peu plus le consommateur ? », avança si justement la sommelière Élyse Lambert à l’intention de Francesco Visani. « Au niveau de la communication, ça commence à bien marcher, reprendra ce dernier. C’est une solution intelligente, je suis satisfait du concept et je vois des résultats positifs. »

Personnellement, à la dégustation du superbe Marchesi Antinori 2011 d’appellation Chianti Classico Riserva (35 $ – 11421281, où le sangiovese (90 %) se structure au passage avec le cabernet sauvignon, je demeure dubitatif sur le fait que la mention Gran Selezione y change réellement quelque chose. Car ce « bébé Tignanello »souscrit déjà, comme la grande majorité des vins de la célèbre maison toscane, aux critères qualitatifs les plus élevés.

Pensez seulement au Chianti Classico Peppoli 2012 (24,75 $ – 10270928 – (5)★★★), au très classique Villa Antinori 2012 (24,50 $ – 10251348 – (5+)★★★1/2) — le meilleur dégusté pour ma part depuis 20 ans (!) — ou encore ce classique d’entre les classiques : Tignanello 2011 (99,75 $ – 10820900 – (10+) ★★★★ ©.

Le Solaia 2011 (247 $ – 12274885) ? Dans la veine des remarquables 2001, à mon avis. Issue d’une parcelle de 10 hectares en altitude, avec exposition sud-ouest, cette cuvée est un assemblage où domine le cabernet-sauvignon (75 %) en intégrant merveilleusement sangiovese (20 %) et cabernet-franc sur une patine où l’élevage polit à l’extrême des tanins d’une richesse mais aussi d’une extrême civilité.

Le charme qui se dégage de cette bouteille, pourtant d’une insolente jeunesse, est à couper le souffle. Luxe, calme, surtout, surtout, volupté (10+)★★★★1/2 ©. Chapeau bien bas, monsieur le marquis (et son équipe) !

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