Bien avant, oui, bien longtemps avant de lire votre journal préféré, à une époque où le lait était votre tasse de thé et que l’odeur de la vie n’annonçait pas encore les volutes parfumées de votre premier café, c’est à l’endos de votre boîte de céréales préférées que vous vous transformiez en un petit Marcel Proust de la littérature.
Vos yeux rivés sur l’emballage y voyaient défiler une poésie alimentaire dont la trame moléculaire n’avait pourtant que faire d’un sujet, d’un verbe et d’un complément, même indirect.
Ainsi, glycérine végétale, sucre inverti, huile de palme, acide lactique, carbonate de calcium, prolisse 811 annonçaient ces suaves sirops de maïs, tricalcium de phosphate, rouge #40, maltodextrin et autres gras trans. Ça faisait crunch ! dans la bouche et wow ! dans les yeux.
Curieux, tout de même, qu’une « inoffensive » boîte de céréales soit soumise à un tel striptease sur le plan de sa composition-produit, alors qu’il n’y est affiché rien de plus sur votre bouteille de vin qu’un degré d’alcool et sa contenance, en plus de quelques mentions aléatoires de type « contient des oeufs, du poisson, des sulfites », ou cet autre logo prévenant les femmes des risques consécutifs à la consommation d’alcool pendant la grossesse.
Serait-ce que le vin est, sur le plan analytique, au-dessus des lois de la chimie organique ? Pourtant, si vous saviez…
Le vin que vous buvez
Si vous saviez, oui, que le vin que vous buvez peut aussi contenir un cocktail de produits pas nécessairement sympathiques que la contre-étiquette ne peut à elle seule contenir, faute d’espace.
Vous insistez pour que j’en cite quelques-uns ? Vraiment ? Vous en êtes bien sûr ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les molécules pyrimethanil, azoxystrobin, dimethomorph, cyprodimil, iprodione et autres procymidone, contenues dans les pesticides au vignoble, sont classées à risque sur le plan neurotoxique, perturbateur endocrinien, ou, plus banalement, cancérigène.
Ce qui n’empêche pas les tebuconazole, carbendazim et fludioxonil de faire partie du lot aussi. Je vous épargne le reste. C’est vous qui avez insisté. Je vous avais prévenus.
Alors, quand je vois jaillir autour de moi cette lubie soudaine de la presse spécialisée pour d’inoffensifs sucres résiduels de l’ordre de 5 à 15 grammes par litre dans les vins dits « secs », eh ben, permettez que je rigole.
Non pas que le maquillage opéré soit parfois grossier, mais pourquoi, à ce compte-là, éviter de parler pH, acidités, extraits secs, SO2 libre ou combiné, glycérol ou autre gomme arabique, pour privilégier la famille des saccharides ? Je veux bien croire que c’est déjà plus digeste que le fameux cocktail à faire grimper dans les rideaux l’OMS, mais quand même !
Comme le mentionnait le chroniqueur Joe Schwarcz dans la dernière édition du week-end du journal The Gazette, nous consommons quotidiennement, vous et moi, l’équivalent de 25 cuillerées à thé de sucre via les aliments ingérés.
À supposer qu’un vin en contienne à lui seul trois grammes, ce n’est plus qu’une demi-cuillérée à thé par litre que nous assimilons pour l’équivalent de huit verres de vin. Pas de quoi fouetter un chat à l’OMS.
Mais que l’on se comprenne bien : je ne banalise pas ici le fait que la présence de sucres résiduels dans les vins rouges ait pris une proportion alarmante depuis quelques années déjà, histoire de caresser le consommateur dans le sens du poil. Ce glissement progressif au plaisir n’est ni plus ni moins qu’un tue-l’amour… du vin.
À ce titre, aucun candidat qui a fait de la « gonflette » aux sucres résiduels n’apparaît cette année dans mon guide d’achat. Encore une fois, question d’équilibre entre constituants. Point barre !
Parlant d’équilibre
La fiche détaillée du Riesling 2014, Dr. Bürklin-Wolf d’Allemagne (23 $ – 12299821), proposée sur le site saq.com, nous apprend que ce riesling contient 4,9 grammes de sucres résiduels au litre, soit 3,67 grammes la bouteille de 750 millilitres. Ajoutons le fait que ce bijou ne titre que 12,5 % d’alcool par volume et on ne peut que s’incliner sur ce tour de force de cohésion et d’équilibre.
Cette maison familiale, qui opère en biodynamie, propose ici un vin scintillant, d’un tracé aromatique et gustatif brillant, huilé comme un piston de Mercedes pourvue de l’accélération d’une Porsche. Et digeste avec ça ! Une grande maison à découvrir, si ce n’est déjà fait. (5)★★★
L’équilibre n’est pas en reste non plus avec ce magnifique sauternes que Guillaume Perromat me proposait cette semaine, alors qu’il était de passage à Montréal avant de filer vers la capitale où avait lieu le salon Bordeaux-Québec. Cet ex-pharmacien né au château il y a 55 ans de cela me disait que le domaine familial Château D’Armajan des Ormes trouvait déjà preneur sur les tablettes de la SAQ en 1978.
Le 2009 sur le marché est, à 41 $ (00949677), une affaire à prendre. Plus d’amplitude et de profondeur que le 2008, cet assemblage où dominent les sémillons offre une bouche suave, bien vivante, devenant plus moelleuse avant de culminer sur une pointe de menthe-gingembre sur la longue finale.
Les 120 grammes de sucres résiduels, ici parfaitement assumés, témoignent une fois de plus que le sauternais demeure, malgré une baisse de fréquentation de la nouvelle génération de consommateurs, un repère absolu en matière d’harmonie, d’élégance, de classe. (10+)★★★1/2 ©
Je vous laisse avec un rouge où brille le cabernet franc à son meilleur : Château de la Grille 2010 (29,20 $ – 11440175), un chinon qui régale et étoffe le palais avec prestance, panache, style et passablement de distinction.
Jolie maturité et densité de fruit pour un vin encore une fois fort digeste et qui pourra se bonifier aisément tout au long de la prochaine décennie. Simplement superbe sur le plan équilibre, une fois de plus ! (10+)★★★1/2 ©