Je connais très, très peu de gens opposés aux vins naturels et à ceux issus de l’agriculture biologique ou biodynamique. Ce serait comme demander à François d’être plus catholique que le pape, affirmer que votre mère fait les meilleures tartes aux pommes au monde, ou avoir la certitude que vous n’irez pas voter pour Stephen Harper dans trois jours. Des trucs qui tombent sous le sens.
Vous pourrez d’ailleurs fréquenter plusieurs de ces vins, du 31 octobre au 1er novembre prochain à Montréal, lors du 8e Salon des importations privées au Marché Bonsecours, ainsi que les 6 et 7 novembre à la Place Bonaventure lors de l’édition annuelle de la Grande Dégustation, prévue pour vous dé-griser le joyeux novembre. Plusieurs d’entre vous — et pas seulement les hipsters massés à l’intérieur du 1,6 kilomètre carré du Mile End montréalais ! — souhaiteraient déjà nuancer vins bios et vins nature. Explications.
Dans la tête, tout ça ?
Allons-y déjà avec l’expression « culture raisonnée », apparue depuis plusieurs années et qui vise, du moins selon ce qu’allégueront les professionnels de l’industrie, à user de raison sur le terrain quand la situation l’exige. Oui, mais encore ? Il vous apparaîtra évident qu’un vigneron qui lie sa subsistance au fruit de sa récolte fera tout, oui, tout ce qui lui est humainement possible de faire pour justement récolter le fruit de son labeur. Comment le blâmer, d’ailleurs ?
Il fera tout, y compris user de traitements phytosanitaires répétés et d’engrais pour pallier une vie organique rendue déficiente en sous-sol, justement parce que ces mêmes sols ont été abrutis par la chimie de synthèse pendant des décennies. L’idée, en somme, c’est d’avoir du résultat coûte que coûte. Sans compter que ce cycle, à la limite d’être infernal, commande des opérations parfois répétées sur le terrain (après une pluie en temps humide, par exemple, avec le sulfatage) pour aboutir.
Comme le soulignait un article dans Le Magazine du Monde en mai dernier : « Dans le vin conventionnel qui sert de référence, tout est permis : levurage, enzymage, chaptalisation, acidification, adjonction de soufre, etc. Le label bio européen — la feuille sur fond vert — entré en vigueur en 2012 est le plus répandu sur les bouteilles. À l’examen, il permet une quarantaine d’additifs et de manipulations diverses qui vont de l’usage des levures à celui des copeaux de chêne en passant par l’osmose inverse, les préparations enzymatiques et les tanins oenologiques. »
Bref, une culture où papa (industrie) a raison. À noter que la mention « culture raisonnée » sur l’étiquette n’est qu’une astuce de vente, rien de plus.
De même, d’ailleurs, que pour les termes « nature » ou « bio ». Car, voilà aussi un fourre-tout où il y a bien tout, n’importe quoi et parfois son contraire. Que je vous pose la question : la mention « nature » ou « bio » sur l’étiquette ne vous prédispose-t-elle pas déjà à aimer le produit ? En d’autres mots, court-circuitez-vous votre propre jugement en matière de vin à la seule mention rassurante de ces termes ? Si, comme pour le sexe, le meilleur est parfois dans la tête, reste qu’il y a des nature et des bios qui ne méritent pas de se retrouver dans votre verre.
On a beaucoup écrit sur le sujet. Je n’épiloguerai pas sur le vin issu de l’agriculture biologique ou biodynamique, sinon pour dire qu’un sol sain et bourré de lombrics pour l’aérer, ainsi qu’une riche biodiversité locale, ont un impact largement positif sur l’intégrité des fruits produits. Ne reste plus au vigneron qu’à être cohérent en liant tous les maillons, sans dévier, de la vigne au verre. Car, si on peut être bio à la vigne, on peut ne pas l’être au chai en usant d’astuces qu’il serait trop fastidieux d’élaborer ici.
Se calmer le pompon
Bon, on va faire ensemble une petite mise au point. Comme vous, j’aime le vin bien fait, inspirant, digeste. Qu’il soit issu d’une agriculture raisonnée, biologique ou biodynamique. J’aime bien aussi le vin naturel dans la mesure où c’est du vin, pas de cette soupe où nagent des micro-organismes dignes d’un déversement massif d’eaux usées dans un Saint-Laurent qui ne sait plus s’il est mâle ou femelle, tant son système endocrinien est perturbé.
Nous y voilà. Avec le vin naturel, on est passés du tout-à-la-chimie à plus-de-chimie-du-tout, avec toutes les dérives que cela implique. Il n’existe pas de définition officielle du vin naturel (ou nature), sinon qu’il est issu de l’agriculture biologique et contient peu ou pas du tout de sulfites (de l’ordre de 20 mg/l pour les rouges et de 30 mg/l pour les blancs).
C’est toujours mieux, respectivement, que ces 160 (mg/l) et 210 (mg/l) homologués par l’Union européenne pour les vins conventionnels !
Sachant, comme je l’écrivais la semaine dernière relatant un entretien avec Pascal Verhaeghe, au Château du Cèdre de Cahors, que toute fermentation dégage entre cinq et huit milligrammes par litre de SO2, et ce, le plus naturellement du monde.
Comme me le mentionnait cette fois Damien Sartori, oenologue pour la maison Lionel Osmin, dans la région du Sud-Ouest : « Sur la vingtaine de vins nature que j’ai dégustés lors de mon récent passage au Québec, dans les restaurants et bars à vins branchés, une bonne quinzaine présentaient des défauts, que ce soit sous forme de brettanomyces ou autres déviations bactériennes. À titre d’oenologue mais aussi de consommateur, je trouve ça proprement inacceptable ! » L’homme a un point.
Si une nouvelle génération de sommeliers comme de restaurateurs propose en effet de tels vins naturels par l’entremise de l’importation privée (en hausse !), il n’en demeure pas moins que j’en ai personnellement ras le pompon de ce type de produit, qui non seulement dénature le cépage et gomme ses origines mais entretient aussi un « flou de bouche » qui laisse dubitatif.
Vous rétorquerez que le vin est digeste, mais voilà, le bricolage et l’improvisation pour une telle pratique en amont me causent tout de même une indigestion. N’est pas nature qui veut !
Difficile en effet, très difficile, selon les spécialistes, d’offrir un blanc qui soit net, droit, loyal et marchand, sans qu’un pet de soufre ne lui garantisse une assurance santé. Et ce n’est pas mon mentor bordelais en matière de vin blanc, Denis Dubourdieu, qui avancera le contraire. Pas nécessairement plus reluisant pour le rouge, d’ailleurs, bien que ce dernier dispose tout de même d’une « muraille » de polyphénols pour amortir, voire dissimuler tout défaut éventuel.
Dans les deux cas, oubliez déjà une production industrielle de vins nature, à moins de les bricoler sous filtrations tangentielles, flashs pasteurisations ou autres thermovinifications. Pas sexy, tout ça. C’est bien pourquoi ces bricolages ne sont jamais mentionnés sur l’étiquette !
La gamme Naturae
L’absence de sulfites offre-t-elle ici au vin la possibilité de se rapprocher substantiellement du fruit, du terroir ou de ses origines languedociennes ? C’est une question que je me suis posée en dégustant les cuvées Naturae 2014 de Gérard Bertrand, arrivées en tablettes récemment, soit le Chardonnay (12178869 – (5) ★★) et la Syrah (12184821 – (5) ★★1/2), tous deux au coût de 19,95 $. Vrai que le fruité y est net, délicieux, bien sec, sans apport boisé, et agréablement palpable sur le plan texture.
Vrai aussi que le vin, sans être nuancé ni complexe, affiche substance et tonus, sans durcissement inopiné sur la finale, sinon une pointe d’amertume pas du tout désagréable. Bref, que du bon. Dégustés à l’aveugle avec la gamme des vins de François Chartier, vendus à peu près au même prix mais contenant, ceux-là, des sulfites, les vins m’ont toutefois laissé perplexe sur le plan du tandem cépage/origine, comme s’il manquait une information, une clé, un maillon pour lier le tout…
À lire sur le sujet : Le vin au naturel, François Morel (éditions Sang de la Terre).