La taille (3)

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Il arrive qu’un vigneron ne fasse plus qu’un avec ses vignes, son terroir, son microclimat, ses rêves et son vin. C’est le cas d’Olivier Humbrecht, vigneron alsacien émérite au discours aussi limpide qu’un « jus de roche » filtré à même le tamis de la sincérité. Troisième texte d’une série de cinq. Présentation.

Nous l’avions déjà mentionné, Olivier Humbrecht insiste à nouveau : « Sans elle [la taille], la vigne resterait une liane : rampante, infiniment développée en vrilles et en feuillages, et elle ne donnerait que très peu de fruits. Il n’y aurait aucune viticulture. » L’Alsacien sait, à l’image de tous les vignerons sérieux de la planète, que le travail du vin démarre avant tout sur le terrain, en son sous-sol comme hors sol, à même la vigne.

« La femme est l’avenir de l’homme », chantait Ferrat en référence à la maxime d’Aragon. « La taille est l’avenir du vin », cite à son tour Humbrecht, conscient de l’immense répercussion que ce simple geste implique. Il poursuit : « La taille est le travail que je préfère. C’est un moment de solitude et de méditation, d’échange profond avec la plante […] Le tailleur donne une forme au cep en le taillant, mais il participe aussi à sa formation. En taillant, le vigneron communique à la plante ce qu’il attend d’elle, il projette la récolte à venir. » Nous sommes ici loin du simple réflexe bêtement robotique.

Car oui, chaque pied de vigne est différent. À l’image de ses propres enfants. Penché sur les bois tordus au cœur cru de l’hiver, l’artisan laisse son intuition « sentir » les capacités à venir de la plante. À venir, oui, le mot est important. « La vigne est une plante dont l’induction florale se fait sur deux ans. La récolte d’un millésime se prépare donc toujours au cours du millésime qui le précède, durant la période qui sépare la taille d’hiver des vendanges de la première année. » Il est reconnu de fait que divers aléas climatiques (grêle, gel, sécheresse, etc.) auront par la suite une incidence sur la façon de tailler. La vigne possède sa propre mémoire. Elle se souvient.

La fameuse vendange « en vert »

Il n’est pas rare de visiter des vignobles où, au cœur même de la saison végétative, se retrouvent au sol, sous les vignes, bon nombre de grappes esseulées. Une fierté pour le vigneron, dont le geste de couper est assimilé ici à un gage de qualité. Erreur ! Revenons ici sur l’induction florale de tout à l’heure et sur la fructification qui s’ensuit. « Pour favoriser (cette dernière), il faudra inquiéter la plante. La tension, le “stress” est un facteur de croissance et de fructification, même s’il peut y avoir des causes bien différentes », dira l’auteur, qui sait pertinemment qu’il travaille encore une fois la récolte à venir.

Ainsi, « Il taillera donc plus long s’il veut davantage de bois et de raisins, plus court s’il veut favoriser la qualité des fruits. Il cherche aussi à maintenir l’équilibre organique et morphologique entre toutes les parties de la plante pour que la sève puisse irriguer les bois et les fruits futurs. » Oui, mais Olivier, le fait d’enlever ce trop-plein de grappes sur pied devrait avoir le même effet en concentrant les jus dans celles qui restent, pourriez-vous lui lancer, entre deux gorgées de son lumineux Riesling Roche Calcaire 2015 (40,25 $ – 13422034). La question est pertinente.

Ma réponse serait de vous dire qu’une taille courte en amont épargnerait déjà au vigneron de multiplier les opérations sur le terrain en aval avec cette vendange en vert, qui devient alors superflue. Selon le maître, cette opération plus proche de l’élagage engendrerait un stress aux effets très différents « Car ici [selon la vendange en vert], ce sont les pépins que l’on élimine, non les bois : dans ce cas, et par une réaction hormonale que la science classique sait décrire, la plante augmentera sa productivité à la récolte suivante. »

La nature ne fait rien pour rien. La comprendre dans sa globalité permet d’en suivre le cycle naturel en minimisant les interventions. « En supprimant des raisins immatures, comme on le fait avec la vendange en vert, le vigneron arrache à la vigne ses enfants avant leur terme et provoque une réaction toute naturelle, qui l’oblige à produire davantage de raisin l’année suivante. La vendange en vert est une forme d’avortement. » Saisir les secrets de la taille, c’est déjà anticiper le vin à naître.

La semaine prochaine : « Raisin, croissance, patience ».

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