Qu’auraient imaginé les Étrusques, déjà habiles à manier la vigne et la tonnellerie, s’ils avaient eu sous les doigts nos réseaux sociaux actuels pour promouvoir à l’étranger le vin qu’ils exportaient déjà en 480 av. J.-C. ? À défaut de pouvoir s’imposer sur le plan militaire face aux armées de César, ce peuple belliqueux lui aurait en revanche infligé un solide pied de nez en l’emportant ne serait-ce que sur le plan de la balance commerciale !
L’Étrurie d’hier devenue la Toscane d’aujourd’hui carbure visiblement, selon les dernières études menées par la Fondazione Sistema Toscana en collaboration avec Travel Appeal, à un taux de satisfaction inégalée de 95,5 %, selon les quelque 41 000 communications virtuelles diffusées dans le monde. Le réseau Instagram demeurant l’outil le plus utilisé par les influenceurs de tous acabits.
Les trois appellations s’illustrant au podium de la popularité numérique ? Les Chianti DOCG, Brunello di Montalcino et Bolgheri DOC. Les talonnent de près Rosso di Montalcino et une nouvelle venue, DOC Orcia (limitrophe au Brunello), ainsi que, surprise de taille, Vernaccia di San Gimignano, sur laquelle nous reviendrons plus en détail la semaine prochaine. Si une image suffit à faire vendre, mille clics en centuplent la performance, sachant qu’aucune région, même la Toscane, n’a le luxe aujourd’hui de se reposer sur ses lauriers en ce qui a trait à sa propre visibilité. La « bête » a faim et il faut la nourrir !
Ces statistiques étaient révélées à la presse la semaine dernière lors de l’édition annuelle Anteprima 2019, où les appellations Chianti, Vernaccia di San Gimignano, Brunello di Montalcino et Vino Nobile di Montepulciano étaient à l’honneur. Tenez, seulement que pour l’événement Chianti Classico Collection, près de 200 maisons viticoles proposaient aux quelque 250 journalistes (dont votre humble serviteur) venus d’une trentaine de pays plus de 9000 bouteilles à palper du palais. Je vous laisse imaginer la pluie de clics dégoulinant sur le parapluie médiatique !
Un plumage à la hauteur du ramage
Je l’avoue moi-même d’emblée : je n’ai pas été aspiré par le vortex numérique en question, n’étant moi-même qu’un nouveau-né en matière de réseau social. Trop occupé en cela à décortiquer, par la dégustation, les nuances de style et de personnalité que le grand sangiovese pouvait s’adjoindre, non seulement en simple appellation chianti, mais aussi par l’entremise des nombreuses communes où il s’exprime, qu’elles se nomment Aretini, Fiorentini, Senesi, Pisane, Montalbano, Montespertoli ou encore, Rufina. Des nuances certes subtiles, mais tout de même vérifiables.
Et là, je ne vous parle pas du DOCG Morellino di Scansano, tout au sud, où le sangiovese, sur sous-sols légers et filtrants, sculpte en rondeur et en fluidité des rouges qui n’ont strictement rien à voir avec ceux situés au coeur historique du Chianti Classico, qu’ils soient de Greve, de Radda ou encore, de Castellina. Je retiens ici, pour leur élégance et leur cohérence fruitée, les maisons Montero, Poggio Trevalle, Poggio Brigante, Fattoria le Pupille, Val di Toro et autre Fattoria Mantellassi.
Quant au coeur même du grand chianti, le ramage du grand coq noir vaut bien l’éclat de son plumage avec ces incontournables maisons que sont Castellare, La Castellina, Castello di Ama, Badia a Coltibuono, Carpineta Fontalpino, Castello di Volpaia, Fèlsina, Gagliole et Le Filigare, sans oublier le profond et racé sangiovese de la Fattoria San Giusto a Rentennano. Des styles qui démontrent que le grand sangiovese s’illustre avec détail, subtilité, sophistication et pertinence, même (et surtout) s’il est vinifié en monocépage. Ce qui n’empêche pas le célèbre coq noir d’être aussi délicieux… en coq au vin !
À grappiller pendant qu’il en reste
Château Jean Gué 2016, Lalande de Pomerol, Bordeaux, France (24,80 $ — 13867594) : À moins de 25 $, ce rouge bien élevé est un digne ambassadeur de son terroir, un terroir rapidement identifiable en raison du resserrement spécifique de ses tannins et cette façon qu’il a de souffler à la fois le chaud et le froid, la luxuriance et l’austérité. Pureté aromatique immédiate avec ses notes animales et florales resserrant tout doucement un palais qui exigera une bonne côte de bœuf grillée pour le contenter plus encore. (5 +) ★★★ ©
Chardonnay 2016, Raymond, Napa Valley, Californie, États-Unis (24,95 $ — 707711) : Comme on ne peut pas s’astreindre à boire du chablis tous les jours (quoique…), il arrive qu’un bon verre de chardonnay riche et beurré, rond et moelleux de texture, soit admissible, histoire de paver le palais de riches intentions. C’est le cas ici, ce qui est rare dans cette appellation dont le prix à l’hectare est au-dessus du million de dollars américains. Un blanc sec qui séduira les amateurs de vin riche au goût exotique de mangue, d’ananas et de citron confit parfumé à la vanille et au beurre frais. Servir frais sur légumes grillés et brochettes de volailles. (5) ★★★
Dabouki 2016, L’Étoile de Bethléem, Vignoble Cremisan, Palestine (26,80 $ — 13841191) : La provenance du cépage dabouki n’est pas clair et serait, selon le livre de référence Wine Grapes, des auteurs Robinson, Harding et Vouillamoz, associé en Arménie sous le nom de malaga blanc, qui serait, lui, la variété dominante en Thaïlande. Tout ça pour aboutir du côté de Bethléem où il est vinifié sous l’expertise du célèbre œnologue italien Ricardo Cotarella. Bref, un petit miracle que ce vin aussi original que savoureux et qui, sans être vivace ou complexe, trace un profil net, léger, citronné et de belle densité sous une allonge qui permet aux amers d’ajouter une touche de luminosité sur la longue finale. On lui donnerait le p’tit Jésus sans confession tant il est sincère. Servir entre 10 et 12 degrés Celsius sur un poulet au citron, par exemple. (5) ★★★