Parler de champagne ou, mieux, boire du champagne au coeur de l’été n’a rien de bien extravagant. Moi, je trouve ça extra et ça me va comme un gant. Pourquoi faudrait-il d’ailleurs ne le confiner qu’aux anniversaires, aux mariages et autres célébrations de fin d’année ? Le prix, sans doute, mais pour ce qui est des occasions, disons que je peux vous en inventer jusqu’à plus soif. L’invitation de la maison Moët & Chandon (fondée en 1743) à célébrer les 150 ans de son Brut Impérial me permettait récemment de vérifier que la soif, elle, ne s’invente pas.
Astucieux tout de même, ces Champenois qui expédiaient déjà cette même soif en tonneaux en Angleterre au milieu du XVIIIe siècle pour dérider l’Anglais et lui faire vibrer son Shakespeare intérieur. Une époque festive, là comme dans toute l’Europe d’ailleurs, où le célèbre mousseux moussait déjà avec une douceur à vous faire tituber sur place un diabétique en raison des sucres importants qu’il contenait.
Il faudra attendre une centaine d’années plus tard, soit en 1869, pour que la maison, flairant une tendance pour les champagnes plus secs, trouve un nouveau modèle d’équilibre avec une diminution drastique du dosage (aujourd’hui à 9 g/l). La fête ne pouvait que redoubler d’intensité, avec des vins toujours aussi frais, mais surtout plus digestes. C’est à cette date qu’apparaît le Moët Impérial dont les premières exportations coïncident très exactement avec le 100e anniversaire de naissance de Napoléon Bonaparte. Impérial, donc.
Le sens inné de la fête
Dans son livre immense sur la Champagne, le colonel François Bonal nous apprend que le sens de la fête sous l’occupation au XIXe siècle n’avait rien, mais absolument rien à voir avec cette magie festive champenoise racontée par les Grimod de la Reynière, le journal républicain Le Charivari et cet autre ambassadeur du bon goût qu’était le comte Robert-Jean de Vogüe : « Dès la première occupation d’Épernay, les Prussiens volent, violent et, comme les cosaques à Reims, vident les celliers et font des ponctions dans les caves qui n’ont pu être murées à temps. »
Ce qui fera dire alors à Jean-Rémy Moët, non sans un certain sens des affaires d’ailleurs : « Je souris à la spoliation dont je suis l’objet, et je me fais de tous ceux qui boivent mon vin autant de commis voyageurs qui, en rentrant dans leurs patries lointaines, feront l’article pour ma maison. » Eh bien, de ma patrie lointaine du Québec, c’est fait, cher Monsieur ! Je n’ai peut-être pas la tête d’un cosaque ni la capacité de boire des kilomètres de cave (quoique), mais il ne m’apparaît nullement déplacé à mon tour, quelque 150 ans après les premières mises en marché de ce Moët Impérial Brut (65,75 $ — 453084 – (5) ★★★ 1/2), d’en faire l’éloge.
Car le vin est bon, assurément. Les geeks et geekettes rétorqueront sans doute que ce champagne n’est pas bio, que son goût est trop rassembleur (!) ou qu’il ne sert qu’à shampouiner la toison capillaire des sportifs ou à adouber plus encore la beauté des femmes lors de soirées mondaines, mais ce qu’il y a dans le flacon après en avoir fait sauter le bouchon donne tout de même un sacré joli frisson.
Plus que l’exercice organoleptique conventionnel où les 3 « P » (pêche-pomme-poire) jouent d’éclat et de lumière, c’est l’expérience hautement sensuelle dégagée qui séduit. Une espèce de ballet aérien où les fines crinolines de danseuses se meuvent, chatoient, fluctuent et s’illuminent sous l’empreinte d’aurores boréales dont les courbes évanescentes invitent la nuit à entrevoir le jour.
Ajoutez une texture qui relève tout autant de l’organdi que du satin, une cohésion de bouche invitant le crémeux de la sève à jouer l’aventure à table sur les sauces nappant veau, volailles et autres quenelles de crustacés ou de poissons fins, et vous voilà déjà dansant d’aise sur votre strapontin. Et ce n’est pas le chef de cave Benoît Gouez, en poste depuis 2005, qui déclinera l’invitation de faire la fête avec vous !