La question peut aussi se lire autrement : « Doit-on comparer les vins ? » Devoir ou pouvoir, là est la nuance ! Si je « fais ce que boit », ici même, chaque semaine qui passe, mon devoir à moi est bien sûr de comparer les vins pour mieux en rendre compte et, surtout, les noter. Et ce, parmi tous les vins du monde. Une notation qualitative qui s’installe dans l’absolu de l’offre et non dans la catégorie respective de chacun. C’est un choix conscient et éclairé de ma part, même si ça se discute. Toute comparaison étant nécessairement boiteuse, quelles béquilles intellectuelles permettraient alors à l’objectivité d’une telle démarche d’en garantir éventuellement l’équilibre ? Pas facile, tout ça ! Décortiquons tout de même.
Peut-on ?
Disons-le sans détour, chacun est libre de comparer ce qu’il veut avec tout ce qui lui tombe sous la main et… dans la bouche. Je n’ai pas de soucis à ce que vous départagiez les acides maliques et citriques du jus de pomme ou du jus d’orange. Mais de là à comparer des pommes à des oranges, il y a tout de même des limites à mettre tous ses fruits dans le même panier ! Comparer ce qui est comparable (ou ce qui ne l’est pas) revient alors, selon l’expression en date du milieu du XVIIIe siècle, à avoir deux poids, deux mesures.
Il est d’ailleurs stimulant d’entendre néophytes et connaisseurs, lors de dégustations grand public, sortir du chapeau de leurs émotions respectives des lapins tous aussi agiles les uns que les autres sans que personne n’empiète sur la liberté de penser de l’autre. Tout en criant lapin. Un exemple ? J’avais glissé le Chardonnay Signature 2017 du Domaine de L’Orpailleur (29 $) lors d’une dégustation à l’aveugle parmi d’autres chardonnays du monde, dont cet excellent Mâcon-Verzé 2017 du Domaine Leflaive (48,75 $). Les deux tiers des fines bouches présentes ont adoré ces deux chardonnays, pour des raisons différentes certes, mais tout de même. Sec, beurré et moelleux pour le premier ; sec, plus « minéral » et plus vivace pour le second. Près de 50 % ont préféré celui du vignoble de Dunham P.Q. (noté en moyenne ★★★) à l’illustre mâconnais, dont le score atteignait ★★★ 1/2 ! Comme quoi il est permis de comparer sans fouler au pied ses origines.
Doit-on ?
Devoir comparer les vins entre eux installe déjà une forme de parti pris, qu’on le veuille ou non. D’une édition à l’autre du Guide Aubry (Transcontinental), je suis confronté à une somme de paramètres trop variables (millésimes différents, échantillons uniques, dispositions et humeurs personnelles fluctuantes, etc.) pour devoir trancher en toute objectivité. Évidemment, comme pour cette chronique, je me dois de le faire, tout en notant. Une autre dégustation, celle-là de vins rosés de tous les horizons, était récemment particulièrement révélatrice quant au fait de comparer les types de vin entre eux. Le rosé ? N’est-ce pas cet hurluberlu de vin qui se boit très exactement entre la fête des Mères et le 31 août, très précisément à 23 h 59 ? Il s’agit bien de celui-là, même si les mentalités changent. Doit-on pour autant comparer entre eux vins blancs, rosés, orange ou encore rouges ? Non, bien sûr.
Pourtant, les commentaires retenus lors de cette dégustation de vins rosés subordonnaient ce dernier aux autres types de vin, comme si celui-ci n’avait pas le droit d’exister, de vivre sa propre vie, d’être unique en son genre, bref, d’être un vin à part entière. Pas un demi-vin. Eh oui, un rosé peut avoir de la finesse. Eh oui, un rosé peut être complexe et détaillé. Eh oui, un rosé peut être de première fraîcheur et de bonne longueur en bouche. Et, oui, un rosé peut se bonifier en bouteille à l’ombre de votre cave. La question ici se posera autrement : doit-on laisser ses préjugés au vestiaire ?