À l’aube de la vendange 2019, du moins dans l’hémisphère nord, le niveau de stress chez le vigneron est à son comble. Les périodes de gel, de grêle ou d’ouragan de niveau 5 sont sans doute écartées (quoique), mais l’affaire n’est pas dans le sac pour autant. « L’imprévu est un hasard dont on ne peut prédire l’avenir », cite une source anonyme du XVIe siècle, qui n’avait pas prévu elle-même être citée au XXIe siècle. La clairvoyance a encore de beaux jours devant elle.
Si l’on se fie maintenant à l’expression à la mode qui veut que « le diable soit dans les détails », on accepte l’idée que la somme des petits gestes habilement régulés sur le terrain en amont, à la vigne comme au chai, participent à optimiser en aval le produit final. En l’occurrence ici, le vin. Mais malgré tous les efforts déployés, il arrive que le vin soit bien plus que droit, loyal et marchand. Qu’il soit bon même. Très bon, dans le meilleur des cas. Mais grand ?
Essayons une définition
On avance qu’il n’existe pas de terroirs sans intervention humaine. Telle cette page blanche privée de l’inspiration du romancier. Labourer le sillon des mots exige tout de même de projeter, d’imaginer et d’investir le lieu et l’espace susceptibles de révéler ses ambitions littéraires tout comme, du côté du vigneron, d’accoucher de ses ambitions végétales et minérales. Ultimement et dans le meilleur des cas, le vigneron EST le vin. Selon mes sources, l’auteure Amélie Nothomb plancherait déjà sur le thème de la transsubstantiation christique dans son prochain roman Soif, tome 2.
Mais revenons à nos moutons. Car, faut-il le dire, la hiérarchie en matière de vins existe bel et bien. En effet, si tous les vins sont égaux, il en existe de plus égaux que d’autres. Petrus, Romanée-Conti, d’Yquem, mais aussi Grange, Salon, Castello di Ama, Vega Sicilia et autres Barca Velha font, parmi les amateurs du monde entier, consensus quant à la notion de grand vin.
Cela implique-t-il pour autant que le Gamay 2018 du Domaine de la Charmoise d’Henry Marionnet (17,70 $ – 329532 – (5+) ★★★), que Le Sot de l’Ange Rosé « Sottise » 2018 de Quentin Bourse (22,05 $ – 13350579 – (5) ★★★) ou que le Château Le Puy 2016 de Jean-Pierre et Pascal Amoreau (28,85 $ – 709469 – (5+) © ★★★ ½) ne sont pas grands ? Décortiquons.
Le grand vin est à la gastronomie ce que le bon vin est à la cuisine au quotidien : ce moment où tout bascule sans que l’on puisse tout à fait expliquer ce qui est en train de se produire. L’impression commune aux néophytes comme aux « palais pointus » est que c’est… bon. Tout simplement. C’est déjà un premier pas. Mais il y a plus.
Mémoire des origines
Un grand vin, c’est aussi celui qui conserve la mémoire de ses origines (tout en vous révélant accessoirement les vôtres). L’empreinte, le lieu, la source, bref, ce somewhereness cité par les Anglo-Saxons. Arrive ensuite cette notion primordiale de l’équilibre, clef de voûte incontournable, essentielle au concept de bon vin, quel qu’il soit. À ce stade, tous les vins cités plus haut se fondent dans le creuset de ces termes : il est bon, il conserve la mémoire de ses origines et possède un équilibre.
À ces trois notions s’en ajoutent deux autres, celles-là essentiellement attribuables à ces fameux grands vins (Petrus, Romanée-Conti, etc.) et dont, à mon sens, Le Puy fait lui aussi partie. Primo, cette capacité d’émancipation ultérieure en bouteille, qui permet au vin de gagner en complexité, en profondeur, en longueur ; secundo, cette pérennité de goût affichée et maintenue au fil du temps, voire des siècles, et dont nous évaluons encore aujourd’hui, tout ébahis, la majesté, pour ne pas dire la souveraineté, incontestable. Hors de toute forme de banalisation et de standardisation, faut-il bien sûr ajouter, pour conclure.
13 Septembre 2019