Champagne Krug: une 167e édition aussi subtile que généreuse

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Le chef d’orchestre a une fois de plus réuni les musiciens pour une 167e partition qu’auraient envié Mozart, Beethoven, Schubert, Bach et pourquoi pas Wagner s’ils avaient été eux-mêmes chefs de cave de cette fameuse maison familiale rémoise fondée en 1843 par Joseph Krug. Mais voilà, il n’y a que Wagner qui aurait pleinement profité du poste, bien que l’humanité entière aurait à son tour perdu un grand musicien. On ne peut pas être au chai et à l’opéra en même temps.

Si on ne s’improvise pas chef d’orchestre, on ne s’improvise pas chef de cave non plus. Éric Lebel le sait pertinemment, lui qui passait tout récemment la baguette à Julie Cavil, dont les 13 derniers millésimes à se nourrir spirituellement auprès du maître assurent désormais la pérennité de cette longue et singulière partition musicale. Une partition qui fait que chacune d’elles est unique, avec une sonorité Krug tirée non seulement des plus belles parcelles de Champagne, mais aussi de tonalités encapsulées de vins de réserve (ici portés dans une proportion de 42 %) comme autant de musiciens prêts à interpréter la nouvelle cuvée. L’hymne à la joie ? Beethoven en serait lui-même ivre de joie !

Nous en sommes donc à la 167e Édition pour une Grande Cuvée Brut (313,75 $ – 727453) qui transporte. Pourvu que l’ouïe se love, bien au-delà du Pop ! obligatoire, à nos sens désormais condamnés au bonheur. Ils ne sont pas ici en reste ! Les « noirs » dominent dans cette édition où 36 % de chardonnay assure la brillance de tonalités, contre 47 % de pinot noir et 17 % de pinot meunier. Ces fruits ne sont pas ceux du hasard cependant — bien meilleurs, entre vous et moi ! —, car ils modulent une véritable symphonie où quelque 191 vins tranquilles échelonnés sur 13 millésimes, dont le plus jeune est de 2011 et le plus ancien du millésime 1995. Le tout assemblé et mis en dormance, sur lattes, pendant sept années, histoire de trouver l’harmonie dans le tempo, avant le dégorgement au printemps 2018.

Vous êtes curieux de la provenance de ces vins puisés à même la bibliothèque des vins de réserve maison ? Citons ici Éric Lebel : « J’ai sélectionné certains vins de l’année provenant des parcelles derrière la montagne de Reims Nord, à Mareuil-sur-Ay, pour leur belle expression, ample et fruitée, auxquels j’ai ajouté des vins pinot noir provenant d’Ay, d’Ambonnay et de Bouzy, que j’ai retenus pour leur structure, ainsi que des vins de réserve plus anciens provenant des parcelles de Verzenay, pour apporter de la finesse et une élégance mature. J’ai considéré certaines parcelles de Sainte-Gemme pour l’expression fruitée de leurs meuniers, et, pour finir, des parcelles de Côtes des Blancs, Chouilly et Oger pour le corps et le caractère de leurs chardonnays. J’espère que cet orchestre saura vous séduire. » Faudrait être bien difficile pour ne pas être séduit par l’orchestre en question !

La dégustation de ce grand vin, car il est ici question de grand vin, s’est effectuée à l’aide d’un Zalto autrichien (Universel), fin et de bon volume. La flûte est ici déconseillée. Le nez, subtil, déjà profond, envoûtant même, surtout après un moment passé dans le verre, semble pour ma part offrir au chardonnay une présence bien réelle que confirment en bouche une texture, mais aussi une fraîcheur miraculeuse, clarinette au son clair et précis. Le fruité y est riche, mais rapidement modulé par des tonalités plus chaudes (de violoncelle), plus confites, tout en s’inscrivant dans une dynamique qui allie puissance, finesse et longueur. Si la dernière gorgée nous habite longuement, elle nous quitte avec ce sentiment d’avoir assisté à un ballet de George Balanchine (le ballet Jewels, plus précisément) en raison de l’exécution par petites touches parfaitement ajustées. Bref, du grand art. (10+) ★★★★★

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