Dom Pérignon, un patrimoine sans cesse en création

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Entré chez Moët & Chandon en 1999, l’œnologue et ingénieur agronome Vincent Chaperon rejoint Richard Geoffroy chez Dom Pérignon en 2005 pour devenir officiellement chef de cave le 1er janvier 2019. Un parcours qui n’est pas sans évoquer la remontée d’un train de bulles culminant au sommet — non pour y mourir avec superbe et panache, mais au contraire pour saisir et percer ces mille secrets maison qui, à l’image de ce même chapelet de bulles, les ont acheminées jusque-là.

Vincent Chaperon se serait-il piégé lui-même ? C’est mal connaître l’homme. S’il a mis le doigt dans les mécaniques bien huilées d’un patrimoine historique unique, il sait très bien en retour qu’il devra ici lubrifier des rouages aussi libres que prévisibles, aussi créatifs que calculés. Pour le dire en français de France, ce champagne hors norme est « a work in progress » qui étoffe, nourrit et consolide un patrimoine en création jamais figé, mais toujours assoiffé de possibilités d’avenir. On aurait envie de dire : pourquoi refaire le monde quand tout est là ? Sans doute pour aller plus avant au fond des choses. Mais dans la continuité, toutefois.

Être ou ne pas être

« Je suis de la 7e génération de chefs de cave, et le millésime 2010 est le tout premier que je lance, bien qu’il soit le fruit d’un travail d’équipe mené par mon prédécesseur, Richard Geoffroy. Je serai seul à la barre du 2018 », mentionnait Vincent Chaperon lors d’une visioconférence le 13 avril dernier, alors que le millésime 2010, peu déclaré par la profession en raison d’une année considérée comme moyenne, était officiellement commercialisé.

Millésime moyen ? C’est mal connaître la maison ! « Peu de vignerons ont déclaré le 2010, mais c’était pour nous une occasion de montrer notre singularité. Quelles que soient les conditions, on prend le risque de réaliser un millésime chaque année, c’est une question d’être ou de ne pas être. » Toubib or not toubib, pour paraphraser le médecin de Churchill qui savait aussi lui recommander autre chose que du Pol Roger.

Ainsi, ajoute le chef de cave, « ce sont chez Dom Pérignon trois récoltes sur dix environ qui ne sont pas millésimées. Et sur cette moyenne de 10 millésimes, nous sélectionnons grosso modo 50 % de nos parcelles, de nos fruits, de nos jus et cuvées pour tirer la qualité vers le haut et ainsi enrichir notre patrimoine de création. C’est un engagement esthétique et artistique chaque année. Cette ambition se vérifie par la suite pour chaque nouvel assemblage ».

La maison a pour ce faire les reins solides, ne serait-ce qu’en ce qui concerne le choix de la matière disponible. « Nous avions pour ce millésime les ressources nécessaires, avec une diversité d’approvisionnement suffisante, mais il faut aussi accepter de perdre parfois si on veut gagner. » Pari tenu pour ce 2010, mais il aura fallu y mettre le prix. « Pour éviter d’avoir une qualité d’ensemble moyenne, il a fallu abandonner par exemple 30 % d’une parcelle de pinot noir pour y revenir trois semaines plus tard en raison du botrytis, et y constater une perte nette de 90 % des fruits. » Aviez-vous un plan de match avant la vendange ? « Si la trajectoire du millésime était presque parfaite (frais et sec comme le 1996), il a fallu s’adapter aux pluies torrentielles des 15 et 16 août (l’équivalent de deux mois en deux jours !) et avons donc anticipé en mettant toutes les ressources sur la table avec une dynamique cartographiée de parcelles. »

En bout de course, Dom Pérignon 2010(262 $ – 280461) est, malgré des volumes réduits et fort de ses neuf ans sur lies fines, une réussite pleine et entière. « Nous libérons un millésime avec l’espoir qu’il puisse se développer sur trois plénitudes, c’est-à-dire qu’il puisse gagner en complexité et en profondeur avec le temps — en 10, 15, 25 ou 30 ans — en exprimant sa propre trajectoire après les dégorgements ponctuels. »

Robe lumineuse et soutenue, arômes suggérant immédiatement la maturité, très généreux avec ses notes tropicales d’ananas (inhabituelles dans cette cuvée), à l’opposé par exemple d’un 2008 plus citronné et tendu ; bouche enfin, d’abord ample, ronde, caressante et moelleuse, se contractant doucement en milieu de bouche, comme si le cœur du vin, tel un coffre-fort, préservait jalousement la suite. La finale, finement toastée, se fait sur des notes salines d’iode qui la prolongent de façon quasi exponentielle. Bref, un grand vin de gastronomie, polyvalent, dont, personnellement, je ne me lasse pas. Bienvenue à bord, monsieur Chaperon ! (10+) ★★★★ 1/2

 

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