Ces vins doux qui ont la vie dure

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La moitié de la surface de l’appellation sauternes se tournait récemment vers la production de vins blancs secs. Quelle misère ! C’est ce que nous livre en page 108 Alexandre de Lur Saluces dans son opus D’Yquem à Fargues (Gallimard), avant d’ajouter que, « paradoxalement, la région sauternaise n’a jamais produit autant de bons sauternes et on n’a jamais pris aussi peu de peine pour les distinguer, pour promouvoir les meilleurs d’entre eux ».

J’aurais envie d’ajouter : quelle perte pour l’humanité ! Imaginez seulement tous ces « secs » déshabillés de leur enveloppe charnelle. C’est un peu comme si l’on prélevait au soleil un pan de sa brillance alors que l’humanité a tant besoin de lumière ! L’homme aux commandes d’Yquem (depuis 1968) jusqu’à ce qu’il tombe dans l’escarcelle du groupe LVMH bichonne depuis 2004 son château de Fargues, autre perle familiale dont la douceur subtile et la fraîcheur manifeste traduisent ces traditions ancestrales qu’un négoce oublieux balaie cavalièrement sous le paillasson des pertes et profits.

Ainsi, ces traditions ancestrales faites de mille petits gestes — dont cette patiente volonté à vouloir sublimer la noblesse de Botrytis cinerea — se heurtent à des habitudes de consommation qui se retrouvent aujourd’hui diamétralement opposées aux principes mêmes de cette philosophie où le temps savait encore graver son épitaphe pour les siècles à venir. Pour reprendre Claudel, cité dans le livre de monsieur de Lur Saluces, « un grand vin n’est pas l’ouvrage d’un homme, il est le résultat d’une constante et raffinée tradition. Il y a plus de mille années d’histoire dans un vieux flacon ». Encore faut-il en reconnaître le patrimoine immémorial.

Je prends ce détour avec vous, bien sûr pour réaffirmer mon admiration pour ces grands « passeurs » de culture que sont les Lur Saluces et autres artisans du sauternais (ou d’ailleurs), mais aussi pour rendre compte que ces vins doux ont aujourd’hui la vie dure. Et que le temps pour les savourer, de les accompagner, à table ou avec rien du tout, est une denrée rare dont seuls quelques sybarites égarés au pays d’Oscar Wilde semblent encore être en mesure d’apprécier.

Le cas Moulin Touchais

Reconnue pour sa douceur de vivre, la Loire est aussi touchée par la grâce du Botrytis, que ce soit en appellation Bonnezeaux, Quart de Chaume ou Coteaux du Layon. Ici, les chenins sont drapés d’une majesté à rendre jaloux rois et reines, qui n’en perdaient pourtant pas une goutte lors de libations au château, cela même s’ils risquaient l’éventuelle crise de goutte. Des nectars liquoreux comme le sauternes certes, mais qui peuvent être aussi simplement moelleux ou encore « secs-tendres » avec des indices de sucrosité sous la barre des 100 grammes par litre.

C’est le cas du Moulin Touchais (1787), qui a trouvé dans le passerillage sa raison d’être, avec ses 35 hectares en appellation Coteaux du Layon (sur les 150 hectares du domaine au total). Le fameux Botrytis se fait ici plus rare en raison de l’éloignement des parcelles de la rivière Layon avec, pour conséquence, un « allègement » des sucres qui le situe au niveau d’une maturité de type auslese. Encore à ce jour, l’imposant labyrinthe de caves dépositaires de plusieurs milliers de flacons ne libère qu’au compte-gouttes ses millésimes, après un minimum de dix ans à l’ombre. Vous avez encore souvenir de ces 1947, 1949, 1955, 1959, 1961, 1964 et autres 1969 vendus chez nous il y a 25 ans pour une bouchée de pain ? Aujourd’hui encore, la maison n’a aucune difficulté à écouler sa production.

Six millésimes dégustés récemment avec l’ambassadeur de la maison Frederik Wilbrenninck affichaient pour ces blancs doux une grâce et une fraîcheur qui les rendaient des plus digestes. Plutôt un nectar de conversation, à l’heure du thé, ou dans l’alcôve. En attendant les 1979, 1985 et 2002 qui seront libérés au cours de l’année, je vous incite fortement à vous procurer le splendide 1997 (57 $ — 11177418 — (10+) ★★★★), d’une parfaite harmonie d’ensemble et qui n’a pas dit son dernier mot !

À grappiller pendant qu’il en reste!

Domaine Ferrer Ribière Cuvée tradition 2016, Côtes du Roussillon, France (20,65 $ — 11096271) Ce rouge bio bien étoffé est aussi nourrissant à boire que la terre nourricière qui l’a porté jusqu’à nous, embouteillant au passage le soleil, le vent et les épices chaudes imprégnées par la garrigue environnante. Vin de soir et de gibier qui se mâche et se mâche encore, derrière ses tanins abondants et bien serrants en finale. (5+) © ★★★

Covela Escolha 2015 Vinhos Verdes, Minho, Portugal (25,60 $ — 13629561) Sur la frontière entre la Galice et le Portugal, en bordure du fleuve Minho, chardonnay, mais surtout avesso tracent un profil de vin blanc sec d’une originalité manifeste. Il y a ici un bon volume fruité, un goût singulier où le minéral et le végétal trouvent leur équilibre sur une trame peu acide, mais tout de même harmonieuse. À découvrir, pendant qu’il en reste, sur une soupe de poisson, par exemple. (5) © ★★★ 1/2

27 Septembre 2019

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