Le dernier soupir

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L’œnographilie n’est pas l’un de mes dadas. Ni même le début frisquet du contour de l’ombre de mes préoccupations, bien que je respecte celles et ceux qui s’y adonnent. Je ne suis pas non plus collectionneur de bouteilles de verre, même si je suis convaincu que la SAQ devrait prendre ses responsabilités en matière de recyclage obligatoire, sans qu’il y ait toutefois une pression à la hausse sur le prix des vins pour le client consommateur. Avec un dividende de plus d’un milliard cent quarante-six millions de beaux dollars pour l’exercice financier 2018-2019, je me garderais une petite gêne.

Cela étant, regardez bien cette étiquette. L’œnographile passerait ici son chemin. Or l’amateur de vin, je veux dire celui qui boit réellement le contenu de la bouteille, y trouverait sans doute son compte, avec cet espoir haut perché d’en récolter, sinon l’apothéose flamboyante, du moins substance à jouir, même sous la déflagration timide d’un pétard mouillé. Il n’y a pas de petites jouissances, il n’y a que des espoirs déçus, dit le dicton.

C’est l’ami Bill B. qui m’a mis cette semaine cette bouteille sous le nez dans le cadre de cet exercice annuel consistant à lever des corps dans une cave dont il ne souhaite nullement qu’elle se transforme en cimetière. Il y avait l’année dernière ces Royal-Kébir 1945 et Sangre de Torro 1964 de chez Torres qui, à notre grande surprise, se sont faufilés dans le goulot d’étranglement du sablier du temps sans se soucier de perturber l’harmonie d’ensemble des vins en question.

Mais au fait, à quel moment un vin devient-il soudainement « ancien » ? Il y a bien des êtres humains qui naissent déjà vieux alors que d’autres semblent gagner en jeunesse au fil du temps. Mais le vin ? Vrai qu’il existe physiquement une réalité de subtile dissociation des éléments qui le composent, mais il reste que, mentalement, c’est vous qui déplacez le curseur du tic-tac aromatique et gustatif du temps par l’entremise de la passoire de vos goûts personnels.

Au chevet du vin

Sans vouloir me péter les bretelles ni m’attribuer le titre de Meilleur ouvrier de France dans le maniement du tire-bouchon (MOF-TB), j’avoue me régaler à la vue d’un bouchon ancien coiffant, tel un chapeau mou, le col étiré de la bouteille, mais, surtout, j’anticipe à le « fouiller » gentiment pour lui suggérer de ne pas s’interposer entre le vin qu’il protège et moi qui veux tout simplement sa peau. Et cela, tout en demeurant poli. L’exercice demeure toutefois périlleux.

Déjà, viser la vrille au cœur pour sentir la densité du liège en question, puis délicatement descendre à la verticale en évitant de le forer comme le ferait un magnat du pétrole trop avide en sachant son butin tout près. Puis, à peine l’ayant percé sans toutefois le perforer, espérer une remontée sans résistance, tel ce plongeur olympique qui, en refaisant surface et déjà grisé par sa médaille d’or, s’abandonne mollement sous l’eau devenue légère comme l’air.

Mais il y a surtout ce pschitt ! à l’ouverture, furtif, secret, presque insaisissable, loin du regard mais sensible à l’ouïe, ce sésame ultime libéré sous la pression anaérobique des ans, vie tout entière exhalée dans un dernier soupir, tel un sage révélant à qui veut bien s’en soucier, les secrets d’un paysage que seul le temps peut éclaircir. Ce Côte de Beaune Villages 1961 de la maison de négoce Antonin Rodet libérait ce dernier soupir en début d’année, avec presque six décennies au compteur. Et honorablement buvable avec ça. Reste que le MOF-TB en moi n’était pas peu fier : pas une pépite de liège dans le vin ! On se refait ça l’année prochaine, l’ami Bill B. ?

 

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