La SAQ, hier et aujourd’hui (2)

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En 1955, les baby-boomers encore au biberon (dont je suis), se préparent à vivre, au cours des décennies clôturant le millénaire, une série d’expériences organoleptiques qui vont bien au-delà des colostrums, lactoses, glucoses et autres galactoses qui composent le bon lait maternel. Avec tout le respect que j’ai pour celui de maman, bien entendu.

Mais, avant d’y parvenir, ce sera tout de même ardu. Les premiers dé-boires se feront rapidement sentir avec la découverte de l’aride Rye Melchers Special Reserve à 5,50 $ les 40 onces, du brûlant Porto (!) Canadien St-Georges Bright à 3,55 $ le gallon, ou encore de la p’tite v’limeuse Crème de menthe verte de Bols (4,60 $ les 26 onces), capables de livrer sur un plateau d’argent cette première gueule de bois vécue par l’adolescent rescapé de l’armoire à boissons, où s’entasse le « fort » de parents brillant par leur absence, quand l’occasion se présente. Une première gueule de bois que plusieurs d’entre vous préfèrent sans doute oublier !

Après la Commission des Liqueurs de Québec (CLQ) de ses grands-parents et la Régie des Alcools du Québec (RAQ) créée dès 1961, l’ado devra tout de même ronger son frein avant de pouvoir pénétrer légalement dans l’une des 215 succursales de la Société des Alcools du Québec (SAQ) dont l’objectif avoué, en 1971, est de « mettre à la disposition des consommateurs l’éventail de produits désirés, de la meilleure qualité possible, au moindre coût possible ».

Mais revenons en 1955. Décembre 1955. Trente-sept magasins tout neufs ont vu le jour depuis mars 1926 (91 à l’époque), pour un total de 128 succursales (contre 401 en 2015). De nouvelles heures d’ouverture sont au programme dans 11 établissements, avec la possibilité de se procurer jusqu’à 22 h ce Pouilly-Fuissé 1949 de Bichot à 2 $ (contre 26 $ aujourd’hui), ce champagne Taittinger Brut à 5,75 $ (contre 65,25 $ maintenant), ou cet autre Côte Rôtie 1950 à 2,15 $ alors qu’au moment où vous lirez ces lignes, la Côte Rôtie La Turque 2010 de la maison Guigal se détaille, elle, à peine… 219 fois plus cher dans la très chic boutique Signature.

Curieusement, la grande famille du « fort » (cognacs, gins, whiskys — bourbon, rye etc. —, rhums, cocktails etc.) qui couvre dorénavant 18 pages dans le catalogue des produits de la CLQ (contre 9 en 1926) laisse encore bien peu de place aux vins où deux pages seulement s’ajoutent à la liste originelle.

L’époque est au coeur de la série Mad Men où même Don Draper et ses pochards éthyliques ne se doutent pas encore qu’ils vivent avant l’heure une téléréalité des plus imbibées. Il faudra attendre encore deux décennies avec, entre autres, l’ouverture des Maisons des vins, pour démultiplier l’offre en matière de produits de crus.

C’était le bon temps

Plusieurs grandes caves de vins se constituent alors au Québec au milieu du XXe siècle. Issues, en partie, d’importations privées. Modeste, celle de mon père recèle ce premier « réel biberon » qui ouvre à table, lors de mes 15 ans, en 1965, ce sésame titillant des sens qui ne m’ont jamais apparu si peu explorés depuis l’époque humide des couches aux fesses.

Le coupable ? Ce Vosne-Romanée 1er Cru Aux Malconsorts de Cathiard-Molinier 1949, proprement stupéfiant de mystère. Parfums, textures et allonge : j’étais dorénavant et à jamais inoculé par le grand pinot noir de Bourgogne. Avec la complicité du paternel, les 1970 et 1976 qui suivirent quelques années plus tard n’ont rien fait pour me détourner de cette « sale habitude » pour le beau vin. J’étais cuit.

À bien fouiller cette cave, comme de nombreuses autres, j’imagine, dans la Belle Province à cette époque, j’y déniche un Saint-Émilion de Lebègue à 1,40 $ (21,70 $ aujourd’hui) ; un Château Margaux 1950 à 4,25 $ (le 1949 est à 3460 $ aujourd’hui, alors que le 2001 frise les 1158 $) ; un Château Haut-Brion 1949 à 4 beaux dollars (le 1955 se transige à 1970 $, alors que le 2001 est à 605,25 $) et un Yquem 1947 nettement plus cher, à 6,75 $ (contre 1331,75 $ pour l’immense 2005 — (10 +)★★★★★). Absence remarquée, celle du Sauternes canadien (!?!) Château Gai à 75 sous la fiole et dont aurait sans doute raffolé le comte Alexandre de Lur Saluce lui-même. Mais comme je ne suis pas dans ses souliers…

Si le White Flag de Chauvenet trouvait parfois à arroser les soirs de semaine à 2,15 $ le flacon, le Montrachet 1952 trouvait, lui, pour la faramineuse somme de 2,10 $ de plus (!), à célébrer l’occasion rare. Il vous faudra cependant compter 644,50 $ aujourd’hui pour ce Montrachet 2006 Marquis de Laguiche de la maison Joseph Drouhin qui, selon Véronique Boss-Drouhin, est ni plus ni moins qu’« un véritable chef-d’oeuvre ! ». Le prix paraîtra certes aberrant, mais ne comptez pas sur moi pour remettre en cause la parole de la dame. Ce serait déplacé.

Choix cornélien, enfin, que d’avoir à trancher entre ce Beaujolais de la maison Collin Bourrisset à deux piastres la bouteille et le Nuits-St-Georges de chez Grivelet Cusset dont les millésimes 1950 et 1952 se négociaient à peine 10 sous de plus à la Commission des Liqueurs (au même prix, par exemple, que ce Château Ste-Roseline Rosé 1950). La cote de ce mal-aimé de gamay puisait-elle sa crédibilité à la vague récente du beaujolais primeur, dont la naissance administrative avait lieu au début de cette même décennie, en 1951 ?

Quoi qu’il en soit, il vous en coûtera seulement 12,60 $ de plus qu’à l’époque pour taster de ce Beaujo Chéri 2013 de ce même Collin-Bourisset (14,60 $ – 050096 – (5)★★), alors qu’il vous faudra abouler entre 60 $ et 196 $ de plus pour glaner un 1er Cru de la célèbre appellation de la Côte de Nuits. Si le côté vaguement rétro de l’étiquette du beaujolais en question ajoute un brin de nostalgie à l’ensemble, la contre-étiquette, elle, nous apprend que « lorsque la Commission des Liqueurs, ancêtre de la SAQ, est créée en 1921, Mr Louis Bourrisset est le premier producteur français à prendre sa valise et à traverser l’Atlantique pour proposer ses vins au nouveau Monopole […] ».

Près de 95 ans plus tard, il y est toujours. Du flair, le monsieur ? Je soupçonne son beaujolais d’alors d’être tout de même un cran au-dessus de ce bon vieux Québérac à 85 sous la bouteille. Aspirine non comprise…

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