Le whisky écossais: un caractère bien trempé! (1)

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Le coup de vent frais et salin n’a fait qu’un tour sous le kilt. Mais le bon ! Suffisant, en tout cas, pour me donner la chair de poule là où la pudeur même m’oblige à la discrétion. L’Écosse me prenait par surprise.

Pour ne pas dire à revers. « Fais ce que dois ? » Je n’aurai pas, en tout cas, trahi la devise d’Henri Bourassa en affichant ce jour-là le fameux tartan de laine, façon « régimentaire » s’il vous plaît. Mieux vaut les roubignoles au garde-à-vous plutôt qu’en garde-à-vue.

Devant moi, la mer du Nord avec ses moutons blancs à perte de vue. Derrière moi, Glenclassaugh, l’une des trois distilleries qui, avec Glendronach et Benriach, étaient tirées des boules à mites (réanimées) respectivement en 2013, 2008 et 2004 par Billy Walker, un visionnaire doublé d’un entrepreneur qui avait aussi flairé le vent venir.

Car, oui, le whisky écossais a aujourd’hui le vent dans les voiles. Malgré un très léger tassement au niveau des ventes en 2014, la croissance en valeur, elle, a plus que doublé en 10 ans.

Elle atteint aujourd’hui plus de quatre milliards de livres sterling (près de 8 milliards de dollars canadiens). En fait, il se vend dans le monde trois fois plus de « scotch » que n’importe quel autre whisky concurrent.

Quelques chiffres

Selon la Scotch Whisky Association (SWA), ce sont 96 millions de caisses de whisky écossais qui sont exportées chaque année et 20 millions de fûts, dans l’ombre, qui attendent patiemment une éventuelle mise en bouteille. Les États-Unis (en valeur), la France (en volume) et Singapour étaient, selon le classement 2013, respectivement les premier, deuxième et troisième importateurs alors que l’Inde (+31 %) et les Émirats Arabes (+26 %), qui ne sont pas (encore) dans le top 10, semblent manifester eux aussi une petite soif.

Le Canada lui, affichait pour la même période une hausse de 6 %, pour des achats totalisant tout près de 55 millions (contre 1,3 milliard pour les É.-U.).

Au dernier décompte, 109 distilleries actives employaient directement plus de 10 000 personnes et demeurent, avec l’industrie pétrolière, un puissant levier économique pour le pays.

Si le microsondage (pas du tout scientifique), effectué sur place lors de ma visite auprès de la population (pompistes, restaurateurs, marchands divers et quidams en tous genres), semblait favoriser un « oui » à la dernière question référendaire, les membres de l’industrie de l’or blond, eux, affichaient généralement le contraire. Un statu quo visiblement plus pertinent qu’une gueule de bois.

Mais quelle indépendance de goût ! Eau-de-vie de grains plutôt que de marc (façon grappa, brandy etc.), le whisky écossais offre un style unique, une griffe aussi appréciée des amateurs qu’elle décrit de l’intérieur le caractère bien trempé de l’insulaire qui lui donne vie.

Toujours intense, jamais complaisant, direct, impétueux mais jamais perfide, le « scotch » sait raconter l’histoire de l’eau, du grain et du bois comme pas un. Simple en apparence, ce trio trace pourtant des profils aux spectres parfois diamétralement opposés. Subtil, délicat et fruité, nuancé, moelleux et profond, ou encore mordant, iodé et fortement tourbé (lire : fumé), le gaillard intrigue, pour qui sait jouer le jeu et se faire happer au détour.

Côté décor et ambiance, l’Écosse du whisky, c’est ce dos de dragon assoupi au nord d’Édimbourg qui émerge des torrents clairs et où nichent secrètement, parmi vaux et vallons, des distilleries aux allures de monastères tant elles semblent recluses. C’est là, pourtant, que le monstre en question veille au grain.

Blended ou single malt ?

Je m’intéresse à la bête depuis plus d’une décennie sans pour autant en cerner toutes les subtilités. Les mordus savent de quoi je parle ! Pas juste une affaire de gars, d’ailleurs. Qu’il soit servi pur ou allongé en cocktail, ses éléments de finesse, de corps, de structure ou encore d’intensité trouvent preneur autant chez l’homme que chez la femme.

Un bon scotch ne « brûle » pas. Ces quelques gouttes d’eau ajoutées (trois ou quatre suffisent) l’ouvrent et le libèrent alors, peaufinant les angles en l’émancipant royalement. Mais, triple buse de cornemuse ! Ne le noyez surtout pas sous les glaçons, façon Don Draper, avec son rye dans Mad Men !

Bref, parmi les quelques centaines de candidats disponibles, il y a un scotch taillé pour vous.

De l’eau, du grain et du bois, disions-nous. Et, bien sûr, des levures sélectionnées pour lancer l’activité et libérer les sucres du grain. C’est le wash, un brassin qui ressemble à ce stade à de la bière et qui titre alors près de 8° alc./vol.

Pour faire court, cette bouillie est distillée deux ou trois fois en alambic à colonne, qu’il soit court sur patte (pour une eau-de-vie plus musclée) ou allongé et plus haut (pour un résultat plus floral et aérien), le tout mis en barrique de diverses origines (xérès, bourgogne, sauternes, bourbon, etc.), avec filtration ou non (unchilfiltered).

Légalement, le whisky doit être affiné un minimum de trois ans sur place, en Écosse, avant de pouvoir être commercialisé sous le nom de scotch whisky. Soit, à six mois près, le temps nécessaire de vieillissement d’un cognac pour en obtenir l’appellation (30 mois au total, pour être précis).

La mention d’âge sur l’étiquette d’une bouteille confirme, pour les blended comme pour les single malt, que la plus jeune des eaux-de-vie qu’elle contient a bel et bien cet âge.

Enfin, petits préjugés à déboulonner… 1) Ce n’est pas nécessairement parce que c’est vieux que c’est meilleur, l’harmonie des composés volatils primant ici comme pour toute autre eau-de-vie.

La tendance actuelle va aux mentions visant le type d’élevage (bourbon, xérès, etc.) plutôt que l’âge du produit en question. 2) Un single malt (qui compte pour tout juste 10 % de la production totale des whiskys écossais) n’est pas nécessairement meilleur qu’un blend, souvent fort complexe en raison d’un pourcentage élevé d’orge maltée et de grains de divers horizons.

En attendant la prochaine chronique, je vous laisse pratiquer sur un blended whisky non filtré, qui n’est pas seulement qu’une formidable affaire mais qui offre, en raison de son pourcentage élevé de malt (40 %) et sa pointe légèrement tourbée, passablement de caractère mais aussi de complexité.

Son nom ? Té Bheag (prononcez « chey vek » – 39,25 $ – 858209). Une initiation gaélique qui offre charme mais aussi tenue, avec ses notes iodées, mellifères, florales et doucement fumées. Certaines huîtres en raffolent ! ★★★

Jean Aubry est l’auteur du «Guide Aubry 2015. Les 100 meilleurs vins à moins de 25 $».

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