Clos Rougeard: la révolution n’a pas eu lieu

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C’est en revenant récemment de la Loire, dans l’avion, que je déroulais dans ma tête ces trois visites opérées au fil des ans chez les frères Foucault à Chacé, en appellation Saumur-Champigny. La toute dernière venait d’avoir lieu le matin même dans les nouvelles caves du domaine (2009) sur quatre niveaux de gravité — appelé le « bunker » pour les intimes — où les récoltes dorment en fûts et en bouteilles dans des conditions plus que parfaites. J’en étais encore imbibé, pour ne pas dire tourmenté de bonheur. Alors, vous pensez bien que le quart de bouteille de 17,5 cl en rouge de La Vieille Ferme (avec tout le respect que j’ai pour la famille Perrin) dégusté avec la pointe de camembert Président a eu tôt fait de me ramener sur le plancher des vaches, même perché à 10 000 mètres d’altitude.

Je tournais et retournais cela dans ma tête en me disant qu’il se dégageait de ces trois visites dont celle de ce matin, une impression de calme, d’harmonie, mais aussi de grâce et de félicité qui aurait fait l’envie des curés de mon enfance cherchant à l’aide d’improbables GPS ces fameux limbes où séjournaient il n’y a pas si longtemps encore les innocents bienheureux. Comment décrire cette sensation ? Le plaisir d’être là bien sûr, en compagnie de Bernard « Nady » Foucault qui vous observe au détour sans en avoir l’air, mais aussi ce sentiment d’être en adéquation avec un cépage, un lieu, mais surtout, un cépage qui aurait trouvé SON lieu.

Ici et maintenant…

Huit générations et toujours pas de révolution à l’horizon. Non pas que Jean-Louis, dit « Charly », et Nady Foucault manqueraient d’audace et de témérité (de sacrés caractères nos bonshommes !), mais ils se demandent bien pourquoi ils trahiraient ce legs précieux des anciens voulant que ce soit dans la continuité qu’on risque de ne pas passer à côté du changement. « Ce que l’on a révolutionné, de dire Nady, est le fait que l’on n’a justement rien changé », débouchant alors une bouteille ensommeillée de plus de cinq décennies et une autre du somptueux millésime 2010 pour illustrer l’esprit pérenne qui règne ici.

Lien entre passé et avenir, en transitant par l’ici et le maintenant. Rien de sorcier, pourtant. Parler par exemple d’intrants chimiques dans le vignoble au grand-père à son retour de la dernière guerre n’aurait pas eu de sens. Demander aux frères Foucault d’aujourd’hui pourquoi ils faisaient déjà des vendanges en vert (action de faire tomber les grappes pour réguler le rendement) au début des années 1970 tout en laissant pousser l’herbe entre les rangs de vigne avec, à la clé, des rendements sages sous la barre des 40 hectolitres l’hectare, aurait été pour le moins incongru. C’est pourtant ici, loin des railleries de collègues sans doute autrefois perclus de jalousie que notre duo s’affaire depuis des décennies déjà à une agriculture biologique bien vivante. D’où l’incidence sur les vins.

Un cépage roi : le cabernet franc avec 9 hectares de vigne distribuée sur deux terroirs soit Les Poyeux avec ses sols silico-calcaires, et Le Bourg, plus riche en argile celui-là avec toujours ce socle calcaire pour un matériel végétal qui avoisine les 80 ans d’âge. Ajoutez la cuvée Le Clos, assemblage de ces deux magnifiques terroirs, et vous avez là, au bout des lèvres pour ne pas dire dans le prolongement du rêve, à coup sûr les plus « entichantes » cuvées de cabernets francs de la planète vin qui soient. Je ne suis pas le seul à le penser.

Le cabernet franc, qui paraîtra souvent rustique ailleurs (hormis du côté de Cheval Blanc ou de la Maremma toscane avec le Matarocchio de la maison Antinori, mais sans pour autant égaler le célèbre domaine ligérien), se sublime littéralement ici. Une patine, une texture, un soyeux unique, fruit d’un élevage patient (entre 24 et 30 mois de fût) sans collage ni filtration pour un rouge qui concentre finesse et tension, avec ce qu’il faut de concentration pour jouer l’élégance tout en clôturant une fin de bouche aussi noble que longue et construite. À mon sens, ambiance plus « bourguignonne », suave et sensuelle pour Les Poyeux et plus « rhodanienne », serrée et charnue pour Le Bourg. Tout en demeurant Saumur-Champigny !

Des vins à coup sûr reconnaissables pour des candidats destinés au concours du meilleur Sommelier du Monde par cette espèce de sincérité toute terrienne d’un cépage qui a trouvé ici, comme nous l’avons dit précédemment, SON lieu, mais aussi buvables à grandes lampées par l’amateur ou le néophyte qui prennent résolument leur pied à les boire jusqu’à plus soif. Bref, l’enseigne du grand vin ! Le hic c’est qu’ils sont rares. Des quatre 2009, dont le splendide grand cru calcaire Brézé en chenin blanc, pas une goutte à la vente actuellement chez nous. Ce qui cause bien des maux de tête à la SAQ comme à Nady et à Charly, qui préféreraient destiner leurs vins à celles et à ceux qui l’apprécient réellement au lieu de faire l’objet d’une loterie pour les acquérir sur notre marché.

Si toutefois le hasard vous souriait un jour, je vous inviterais plus que chaleureusement à déguster l’une ou l’autre des cuvées du domaine, des vins qui, pour une moyenne de (seulement) cent dollars le flacon, témoignent de bien plus qu’un simple verre de vin. Un peu comme ce Château Le Puy en Côtes de Francs de la famille Amoreau ou cet autre Gamay Vinifera accouché par Henry et Jean-Sébastien Marionnet en Touraine. Des vins de gens, des vins de lieux, des vins qui invitent le passé à mieux nourrir l’avenir sans trébucher sur les modes, des vins inscrits dans une révolution végétale qui n’aura jamais lieu. Mais qui est tout de même en marche. Dans sa continuité. Et c’est bien comme ça !

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