J’écrivais la semaine dernière qu’il faut se méfier des buveurs d’eau car ils ont toujours quelque chose à cacher. Est-ce cantonner pour autant les buveurs de bière ou de vin sans alcool dans une catégorie mitoyenne qui peine encore à sortir du placard ?
Pas du tout ! Il fallait voir la tête de mon cousin de Québec lors de son passage au restaurant cette semaine : « Comment ? Pas une molécule de vin ou de bière sans alcool à me proposer ? »
J’ai senti illico chez ce cousin qui ne boit pas d’alcool, qui n’a pas la langue dans sa poche et encore moins quelque chose à cacher, le profil d’une frustration bien légitime.
Dommage, car si le buveur de vin est roi au resto, nul n’interdit au restaurateur d’accommoder l’abstème avec de beaux produits sans alcool avec lesquels il pourra tout de même faire sa marge de profit.
Simple respect et simple considération pour un bassin de consommateurs qui, pour différentes raisons, avoisinerait le dixième de la population québécoise.
Discrimination sournoise
J’avoue être un buveur d’alcool, et je m’en porte bien. « Si je buvais moins, je serais un autre homme, et je n’y tiens pas ! », disait d’ailleurs Jean Gabin, qui préférait, et de loin, du Champagne Laurent-Perrier bien frais à un Château Saint-Laurent 2015 bien frappé ou à un Perrier citron.
Cette discrimination sournoise envers celui qui s’abstient indispose tout de même. Réduit au titre honorifique de chauffeur désigné, il n’a souvent même pas droit à une bière Beck’s sans alcool importée d’Allemagne (1,99 $ + taxes – ★★★), alors que la croisière biberonne joyeusement à la Simple Malt Cascade brassée chez nous par les Brasseurs illimités (4,75 $ – 11700934 – ★★★). Pourtant, dans les deux cas, houblon garanti ou argent remis.
Nous ne sommes tout de même plus au XIXe siècle. « L’alcool, voilà l’ennemi ! », relatait un certain S. A. Abbott dans son Plaidoyer en faveur de la prohibition du trafic des boissons enivrantes, en 1883, avant de poursuivre : « C’est uniquement l’alcool qui allèche le buveur, et quand on le retire des boissons il ne reste plus qu’un liquide fade et insipide qui répugne au goût. »
Les technologies développées 132 ans plus tard pour retirer l’alcool du vin permettent-elles d’allécher ce buveur qui n’en a rien à cirer de la diabolique molécule ? Ça reste à voir.
Peut-on parler de vin ?
Mais peut-on encore parler de vin lorsqu’on lui a retiré le sang qui lui coule dans les veines ? Non. Un vin désalcoolisé n’est pas du vin, ou plutôt n’est plus du vin. Il serait plus juste de dire que c’est une boisson à base de vin désalcoolisé.
Pourquoi une boisson ? Parce que la législation européenne a tout simplement fixé à huit degrés d’alcool le seuil minimal en deçà duquel nous quittons l’univers du vin pour celui de boisson.
Mais on s’entend aussi pour dire qu’avant d’être désalcoolisé, le vin a subi une fermentation pour titrer au final huit degrés d’alcool ou plus.
Un produit qui est quand même meilleur que toutes ces boissons énergisantes (et hypercaloriques) vendues à tire-larigot depuis quelques années !
Buvable, tout ça ?
Avec un titre alcoométrique de 0,5 % ou moins, la première impression est que le « vin » est plus aqueux, l’alcool étant tout de même, après l’eau, le deuxième constituant majeur.
L’ajout de glycérol (jusqu’à 15 grammes par litre, comme le permet la loi) pourra certes compenser sur le plan du moelleux, tout en gommant l’acidité, l’amertume ou l’astringence.
En gros, une réduction d’alcool diminue la perception de rondeur et de persistance en bouche.
Moins d’amertume, mais peut-être plus d’astringence pour les rouges, plus d’acidité ou plus d’amertume, ou les deux, pour les blancs.
Tout l’intérêt est de conserver un profil aromatique qui colle au caractère du cépage. Merlot, chardonnay et riesling semblent plus enclins à livrer la marchandise sur ce point.
Oubliez, par contre, tout effet millésime, pays, région, terroir et microclimat : on ne peut tout de même pas avoir le beurre et l’argent du beurre !
L’homme de science sans lequel nous n’en serions qu’au premier biberon de l’apprentissage nous apprend qu’il y aurait jusqu’à 35 % moins de calories dans un produit désalcoolisé.
À moins que j’erre, quatre vins sans alcool sont actuellement offerts à la SAQ. Oubliez les Vi-No-Ze-Ro Müller-Thugau (7,25 $ – 00274720 – ★) et autres Fre 2013 en merlot (9,25 $ – 12387169 – ★) et en chardonnay (9,25 $ – 12387847 – ★), pour vous concentrer sur le Muscat Natureo 2014 de Torres (9,30 $ – 11334794 – ★★1/2) au profil net et rapidement identifiable côté cépage.
Dans le commerce, si les Merlot Ariel, St-Regis et Carl Jung ne cassent pas trois pattes à un canard, comme le veut l’expression périgourdine du XIXe siècle, les blancs (13,45 $ + taxes), rosés (13,45 $), rouges (14,45 $) et mousseux (15,10 $) de La Côte de Vincent, disponibles à La Guilde culinaire de Montréal (514 750-6050), eux, comptent parmi les meilleurs dégustés à ce jour.
Des alsaciens au fruité intègre et convaincant, des vins frais et parfaitement balancés, sans être obnubilés par les sucres. Notes : ★★1/2.
Comment c’est fait ?
Histoire de ne pas boire bête, j’ai recensé quelques procédés susceptibles d’intéresser le scientifique qui sommeille en vous sur les procédés utilisés pour élaborer des produits sans alcool.
Se souvenir qu’il y a d’abord fermentation d’un moût de raisin au préalable. Et non l’ajout d’un dé à coudre de 0,5 % alc./vol. à un jus de raisin frais !
La pratique de l’ultrafiltration et de la nanofiltration (ou osmose inversée), dans le but de réduire la teneur en sucre dans les moûts, soit 30 % du moût traité pour 2 % du volume d’alcool en moins.
L’élimination de l’alcool par osmose inversée et par distillation : on sépare le mélange eau/alcool, puis on récupère l’eau par distillation.
L’élimination de l’alcool par distillation, qui sera réalisée sur l’ensemble du volume de vin à traiter, ou sur un volume de vin fortement désalcoolisé puis assemblé avec le volume initial.
L’utilisation d’une colonne de cônes rotatifs (sous vide), ou spinning cone column, de plus en plus en vogue en Californie. Cela se fait en deux étapes.
D’abord, une fraction du vin est désaromatisée pour être désalcoolisée, puis la fraction désaromatisée (une eau claire mais très aromatique, extraite en très petite quantité) est ensuite réintroduite dans le vin désalcoolisé.
Un vigneron dont la vendange titre à 15 degrés pourra réduire celle-ci, par exemple, à 12 degrés, et ensuite l’assembler avec une autre à 14 degrés, pour finalement obtenir une cuvée homogène titrant autour de 13 degrés. Suffit de savoir cuisiner !
La méthode appelée lirisation, développée par la société Lir de Bordeaux, permet de ramener le taux à 6 % alc./vol.
La méthode dite par stripping produit une désalcoolisation en cours de fermentation (pas très pratique, car tout le monde est très occupé au moment des vendanges).
Le procédé de séparation de l’alcool par dépression à froid « traque » la molécule jusqu’à moins de 0,5 % alc./vol.