Visiblement, ma chronique traitant des vins dits nature, publiée il y a quelques semaines de cela, a fait de ces vagues sur lesquelles je me permets, au terme d’une année chaude en rebondissements, de surfer à nouveau. Certains y ont vu ma détestation pure et simple du sujet. Une lecture, même entre les lignes, aurait sans doute confirmé que ce n’était pas le cas. Permettez déjà, car les mots ont leur importance, que je troque le terme « nature » contre celui de « vivant », plus près celui-là de la réalité organique des choses.
Car le vin est vivant. Qu’on le protège ou non avec des sulfites. C’est ce type de vin qui fait plaisir à boire car hautement digeste. De plus, il a de sacrées belles histoires à raconter sur lui-même, ses origines et la place qui est la sienne dans un contexte plus large de consommation mondiale.
Mais voilà, il est encore trop rare, noyé dans un volume de pinards aussi mondialisés dans leurs essences qu’ils racontent tous à peu près la même histoire. Une histoire convenue, triste et terne, pas même foutue de tracer une activité lyrique minimale au coeur même de l’électrocardiogramme de l’émotion. Bref, des vins qui ne rêvent plus. Et ne font pas rêver.
J’étais invité, le 30 octobre dernier, à une dégustation de « boire vrai » chez l’agence Oenopole, qui, elle, avait convié quatre vignerons encore plus vrais que nature. Ces Loic Roure (domaine du Possible), Valentin Montanet (domaine de la Cadette), Tom Lubbe (domaines de Majas et Matassa) ainsi que Laurence et Rémi Dufaitre.
De la graine de vigneron
De la graine de vigneron à faire germer tous les possibles dans un contexte où l’engourdissement des palais plombe critiques et consommateurs. À ce chapitre, mes émotions bien senties à ces gens d’aujourd’hui qui pérennisent déjà le demain du vin !
Ce qui distingue toutefois ces « imagineurs » de vins tient au fait que le résultat est net, propre, savoureux et expressif, avec cette impression, au final, de saisir pour chacun d’eux ce tracé perceptible qui démarre à la fine pointe de la radicelle du pied de vigne (là même où ça vous chatouille la plante des pieds du terroir), pour aboutir au sommet, avec un fruité radieux, rayonnant, éclairant. Sans ces goûts faux et fuyants qui composent encore, hélas, de ces vinifications approximatives dont je causais dans ma première chronique.
Le « vivant » de demain
Ce millésime 2015 m’aura aussi convaincu que, si la vérité peut être à l’aise dans le verre sans avoir à se justifier, elle peut aussi jaillir de nombreuses autres cuvées issues de domaines qui passent graduellement à l’agriculture biologique, ou le sont déjà sans en faire mention sur l’étiquette.
Pour tout dire, il ne s’est jamais élaboré d’aussi bons vins qu’aujourd’hui, cela, dans un contexte où il devient de plus en plus imprévisible de cultiver la vigne en raison de changements climatiques perceptibles et mesurables sur le terrain.
Une oenologie « douce », voire « d’accompagnement », serait-elle en voie de supplanter ce cahier des charges strict, immuable, irrévocable et autoritaire qui faisait loi dans les années 1970, 1980 et 1990 en balisant étroitement ce qu’était un (bon) vin ? Ce que je vois lors de mes déplacements dans le vignoble me permet de penser cela, mais aussi de constater que, plus que jamais aujourd’hui, un fruit sain perché sur une vigne saine, elle-même enracinée dans un environnement sain, ne peut que livrer un vin tout aussi… sain.
En d’autres mots, jamais le fruit au vignoble et le vigneron au chai n’auront été aussi unis par ce lien à la fois complice et invisible, solide et respectueux d’une même démarche pour le beau vin, le vin vivant. Voilà qui est prometteur.
Ne vous imaginez pas, maintenant, que le métier de vigneron est facile pour autant et que les liquidités coulent aussi aisément qu’un fût de Petrus ou de Pavie 2015 gonflé à bloc. Que non ! Il y aura bien quelques Mercedes rutilantes planquées ici et là entre le tracteur enjambeur de l’année et la table de tri laser dernier cri de 10 mètres cinquante de long, mais là encore, ce n’est pas l’outillage qui fait le vigneron.
Cette année 2015 fut riche en belles rencontres. Pas de voyages en Grèce, en Afrique du Sud, en Argentine ou en Autriche, plutôt des visites bien senties en Croatie, aux États-Unis et en France, bien évidemment. Mon vigneron de l’année ? Allez, pas de secret pour vous : Jean-Pierre Amoreau, au Château Le Puy, en appellation Bordeaux Côtes de Francs.
Je vous le dis sans détour : cet homme (et son clan familial), dont le vignoble s’épanouit naturellement en bio depuis 1610 sur une belle bute minérale de calcaire à Astéries, dans l’arrière-pays bordelais, paresseux, résume à lui seul la viticulture d’hier et celle de demain.
Homme attachant, secondé évidemment par une épouse qui l’est tout autant ; homme pragmatique, sans cesse en observation de la nature qui l’entoure et qu’il préserve farouchement ; homme malin aussi, dont le gros bon sens ne s’embête pas de théories vaseuses à vous convertir coûte que coûte au bio.
Homme de convictions
Amoreau est homme de convictions qu’il applique au jour le jour dans sa vie, avec les gens et, bien sûr, dans son vignoble qui se veut aussi nourricier que nourrissant. Nourriture fine et substantielle, traversée d’un courant de vie qui laisse le buveur en accord avec lui-même, dans une espèce d’état de grâce traversé d’une profonde humanité. Rien que ça. Mais surtout, tellement ça.
Aux splendides cuvées Barthélémy, Marie-Cécile et Retour des Îles (en I. P. à info@vinaoc.ca), faites provision de la cuvée Émilien 2010 (28,85 $ – 709469) dont le souffle tendre, le grain fruité satiné et la voilure tannique serrée portent loin en vous le goût du bon vin. (10+) ★★★1/2 ©. Les 1955, 1959 et 1964 dégustés avec l’homme avaient encore le coeur à l’ouvrage. Du bel ouvrage.
Toujours en France, je suis encore et toujours fasciné par l’énergie brute et rassembleuse d’Alain Brumont rencontré chez lui, au Château de Bouscassé et Montus à Madiran, pivot incontournable de la viticulture dans le Sud-Ouest. Un rayonnement qui touche ses collègues dans l’appellation, que ce soit Christine Dupuy, au Domaine Labranche Lafont, ou Didié Barré, au Domaine Berthoumieu, dont les vins solides et racés inspirent.
Redécouverte des vins du frontonnais avec ce très féminin Château Bouissel, bien évidemment issu de l’agriculture agrobiologique et dont le vin rouge à base de négrette séduit par une élégance plus qu’enviable.
Belles rencontres
D’autres belles rencontres sur place pour cette année qui s’achève : Pascal et Chrystel Colotte, au Château Jean Faux, en appellation Bordeaux ; les dynamiques équipes des Producteurs Plaimont et des Caves Brulhois, toujours dans le Sud-Ouest ; Thomas Perrin, au Château de Beaucastel ; Jean Abeille, au Château Mont-Redon ; l’ardente Régine Sumeire, en Provence ; Jean-Marie Bourgeois, Gérard Boulay et Vincent Pinard, à Sancerre ; Nady Foucault, au Clos Rougeard, et la famille Tatin-Wilk, à Quincy, sans oublier, à Gaillac, Christian Hollevoet au Domaine de la Chamade et ses splendides cuvées Galien, en blanc comme en rouge, ainsi que le tout jeune et prometteur Damien Bonnet, au Domaine de Brin. Merci à tous ces vignerons de passer le plus clair de leur temps à ne pas obscurcir le nôtre (avec mes respects, Jacques Prévert).