À chacun son whisky

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Personne n’est sans savoir qu’il existe depuis quelques années maintenant un engouement pour les whiskys, qu’ils soient ou non à base de céréales maltées. Cette fin d’année a fourni aux Amis du vin du Devoir l’occasion de ne pas tourner autour du pot avec des eaux-de-vie aussi fines que festives, mais surtout d’horizons différents, histoire de flairer qu’un distillat de « grain » puisse être aussi, sinon plus convaincant qu’un autre élaboré à base de marc (cognac, armagnac, grappa…). Fas-ci-nant, aurait dit Charles Tisseyre.

Sur le plan technique, Le Devoir a déjà écrit largement sur le sujet. Voici, en revanche, quelques suggestions des participants (qui ont dégusté le tout à l’aveugle), histoire de mettre le feu aux poudres des festivités qui s’annoncent. Mais souvenez-vous — et je le répète une fois de plus cette année — qu’il vaut toujours mieux prendre le divan que le volant si « l’aubryété » se pointe le bout du nez (rouge).

Pour le Celte farouche mais aussi fouineur qui est en vous : Armorik Single Malt, Warenghem, Whisky Breton, France (52 $ – 11691708 – 46 %), un malt qui offre une certaine complexité, avec touches fruitées de poire et de vanillé. Approche tourbée élégante, mesurée et bien intégrée avec pointe d’iode qui avive et dynamise subtilement une bouche suave, élégante, épicée, captivante. ★★★1/2. Moyenne du groupe : ★★★1/2

Pour celles qui croient encore que le scotch n’est taillé que pour des hommes rustres : Glengoyne 17 ans, Highland Single Malt, Écosse (125 $ – N. D. – 43 %), la délicatesse même ! Souligné avec acuité et finesse par une futaille qui chatouille et ajoute au relief tout en laissant les notes de miel, de pomme, de poire et d’épices se lover sur la musculature élancée du malt. Sans le moindre petit phénol à l’horizon. Longue finale à la fois fraîche, d’une parfaite harmonie ★★★★. La version 15 ans (90,50 $ – 12645463 – ★★★★) saura plaire aussi aux femmes sensibles aux hommes doués pour les belles manières. Moyenne du groupe : ★★★1/2

Pour l’amateur rusé qui sait reconnaître la belle affaire avec un scotch qui flaire bon ses origines maltées/fumées : Té Bheag, Assemblage Connaisseur, île de Skye, Écosse (39,50 $ – 00858209 – 40 %). Comme l’indique l’étiquette, une forte proportion de vieux single malt compose l’assemblage de ce blend et lui confère une véritable signature. Le nez est plein et riche, discret mais charmeur avec sa touche tourbée fine et intégrée, son moelleux épicé, sa finale presque grasse. ★★★ Moyenne du groupe : ★★★

Pour l’amateur en selle sur ce préjugé voulant que le Canada livre encore et toujours des tord-boyaux dignes de la dernière Prohibition : Masterson’s Straight Whiskey de blé 12 ans, Canada (112,50 $ – 12256409 – 50 %). Derrière la robe pâle, de jolies nuances d’agrumes et de poire william, mais c’est en bouche que ça explose. Puissant sans être chauffant, d’une grande vitalité, ce whiskey grimpe et grimpe encore, avec tension mais aussi un moelleux liant la céréale au charme du chêne blanc américain qui lui apporte ses airs de noblesse. ★★★★ Moyenne du groupe : ★★★1/2

Pour les « bobos » qui auraient troqué les pansements adhésifs de marque Band-Aid pour une eau-de-vie plus aseptisante encore, histoire de mieux panser les plaies de leurs petits chagrins bénins : Big Peat Islay Blended Malt, Écosse (85,75 $ – 11310776 – 46 %). Deux clans se toisent ici : on aime ou pas ! Les premiers en redemanderont, alors que les seconds fuiront les jambes à leur cou devant ce monument de tourbe fumée qui, au nez comme en bouche, invite les phénols à table avec un sans-gêne particulièrement étudié. C’est puissant, intense, bien sec, avec ce goût d’âtre et de suie de cheminée typique. Moins détaillé, moins fin qu’un Laphroaig, mais équilibré tout de même. ★★★1/2 Moyenne du groupe : ★★★ (moyenne unifiant les écarts extrêmes de ★★ et de ★★★★)

Pour ceux qui pensent encore que le bourbon sert à neutraliser les 11, 12, 13 épices qui composent le fameux poulet à la Kentucky : Basil Hayden’s Whiskey Bourbon du Kentucky, États-Unis (49,75 $ – 10331516 – 40 %). Une forte proportion de seigle « sucré » par le chêne blanc américain offre ici le profil d’un whisky immédiatement charmeur avec sa touche banane flambée et sa texture onctueuse soutenue par les herbes, le pain d’épices et une trace de fumée. Personnalité, style et longue finale. Classe inhabituelle mais surtout prix pas trop épicé. ★★★★ Moyenne du groupe : ★★★★

Pour le beau-frère qui ne jure que par les whiskys des Highlands écossais (plus précisément le Speyside) : Teeling Whiskey, Irlande (50,50 $ – 12404811 – 46 %) : robe jaune avec reflets vifs, nez fin, articulé, précis de poire, de foin coupé avec une touche de beurre frais développant une bouche vivace, pas très dense mais marquée sobrement par les saveurs rondes et moelleuses des fûts de rhum. Une eau-de-vie qui démontre bien que l’Irlande rivalise avec les meilleurs whiskys, même écossais. À bon prix aussi. Harmonie et longueur. ★★★★ Moyenne du groupe : ★★★★

Pour Léa Seydoux, qui espère peut-être revoir Daniel Graig après le tournage du dernier Bond, Le spectre autour d’un manteau de vison liquide (et non d’une vodka martini) : The Macallan Amber, Highland Single Malt, Écosse (93,50 $ – 11975401 – 40 %). Évidemment, la séduction opère rapidement, au point où c’est à se demander si nous ne sommes pas en face d’une eau-de-vie de marc type cognac, tant le trio fruité-épicé-caramel salé prend le dessus ici. C’est soyeux, palpable, harmonieux, à défaut peut-être de profondeur. Mais il restera toujours les yeux de Léa. ★★★1/2 Moyenne du groupe : ★★★1/2

Pour souhaiter une chaleureuse bienvenue aux immigrants de tout acabit en leur offrant un passeport lisible sur ces gens simples, directs et sans prétention qui nichent au nord du 52e parallèle : Crown Royal, Whisky Canadien, Canada (28,95 $ – 00001487 – 40 %). La locomotive en matière de whisky canadien le plus vendu sur la planète. Un assemblage onctueux qui ne ferait pas de mal à une mouche, tant il est rassembleur, homogène, bien nourri, sans aspérités. Un peu plus et on couronnerait ici Justin Trudeau, tant il offre un air décontracté et sympathique. Finale un rien abrupte. ★★1/2. Moyenne du groupe : ★★1/2

Quelques livres à offrir

Comme le whisky est une bière qui n’a pas « osé » aller plus avant dans son émancipation en étant distillée pour accéder à la notoriété de la célèbre eau-de-vie, Élisabeth Pierre nous entraîne, elle, avec Bières. Leçons de dégustation (La Martinière), dans les méandres de son élaboration et de sa dégustation. Précis, instructif, facile d’accès. La dame aura sûrement plaisir ultérieurement, avec un autre tome, à découvrir les superbes bières québécoises ainsi que celles de nos amis au sud de la frontière.

Chez Dunod, l’auteur Ian Buxton nous fait partager pour sa part sa Passion Whisky tout au long d’un parcours dont on sent à la fois la véritable passion ainsi que la connaissance approfondie du produit. L’auteur a aussi écrit deux autres bouquins sur ce brûlant sujet.

Une autre référence, et de taille celle-là, est Le guide Hachette des whiskies (Hachette), de Martine Nouet, à la fois nourri et bien noté, un ouvrage qui fait le tour des grands de ce monde avec une information claire, des commentaires nuancés, riches et informés. J’aurais souhaité peut-être moins de photos mais plus de cartes géographiques illustrées des différentes régions productrices. Très recommandable, une référence même.

Enfin, j’aurais aimé vous parler plus avant des guides québécois de vin, que ce soit le Guide du vin Phaneuf 2016 piloté, rédigé et assumé (brillamment) par Nadia Fournier, le Lapeyrie 2016, le tout nouveau Méchant Raisins 2016, le Debeur, le Doucet ou le guide de Jessica Harnois. Mais comme vous vous doutez bien que l’auteur de ces lignes est aussi auteur de guide depuis 12 ans maintenant, il a intérêt à éviter tout conflit.

Plus sain, s’empresserait de dire la juge France Charbonneau. Beaucoup de guides, oui, mais qui traduisent bien l’intérêt manifeste des Québécois pour le vin et une pluralité d’opinions qui n’offre, elle, aucun conflit pour l’intérêt de la chose.

 

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