Trop personnelle, la critique ?

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Profitons de ce début d’année pour remettre la critique à sa place. Moins pour la critiquer, cependant, que pour permettre d’en saisir ces mécanismes qui, d’un « émetteur » à l’autre, peuvent être extrêmement variables.

Opération d’autant plus essentielle que cette même critique semble perdre ses repères dans un monde contemporain où l’opinion personnelle sur ce tout-ici-et-maintenant-tout-le-temps électrise à la microseconde près le réseau social situé près de chez vous.

Nous avons déjà parlé du sujet à quelques reprises dans cette page. Mais un récent billet du journaliste français Michel Bettane m’a remis en selle. Son topo ? Le devoir civique du journaliste en vin par opposition à une approche, disons, plus marchande et consumériste du produit.

Le premier est nourri à même une culture de la vigne comme étant avant tout « une activité prodigieusement morale », alors que la seconde réduit le consommateur à un acte d’achat qui permet à l’industrie de définir, dans la foulée, les paramètres de qualité en collant au micron près aux goûts mêmes de cette critique.

À l’intérieur d’une vicieuse boucle infernale qui fait vendre. Et vendre encore. « […] Un acte d’achat fondé sur son rapport qualité-prix, sous couvert de service rendu, [qui] abêtit le public », selon Bettane. Bien vu.

Une approche mitoyenne est-elle possible ici ? L’idéal, en somme, serait qu’une vision plus personnelle puisse aussi être objective. Ce qui est difficilement conciliable. Mais possible. Un exemple ? Vous n’aimez pas un vin mais vous allez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour le défendre (ça vous rappelle quelque chose ?), car ce vin, par ailleurs nickel côté qualité, plaît à plus d’un palais.

Mieux, il se distingue nettement dans sa catégorie. Maintenant, est-ce parce que ce n’est pas votre tasse de thé que vous pouvez impunément le tasser de côté ? Poser la question, c’est y répondre.

La critique comme interface

Il semble bien, dans le milieu du vin à tout le moins, que la critique soit partie en vrille depuis quelques années, mettant sur la même ligne de départ, d’un côté, le vin dûment analysé, soupesé, décortiqué, régurgité, filtré et bien sûr noté à l’échelle comptable de marchands du temple qui n’en demandaient pas tant ; et, de l’autre côté, un ego bien senti qui veut être calife à la place du calife en brillant plus que le calife lui-même. La modestie a tout de même meilleur goût !

Le truc est que, parallèlement à d’autres expressions artistiques éphémères, le vin est vivant et sans cesse en mouvance. Le raconter ne relève pas seulement de trois mots et d’une note figée dans le temps, mais d’une histoire en amont qui soit aussi riche d’un contexte humain, historique, géographique, politique et social. Le critique devient alors l’interface entre le « passeur » et le « receveur », s’octroyant au passage ce moment de grâce magique que lui confère la pratique du métier.

La suite ne relève plus que de la sensibilité (subjective), mais surtout de l’expertise (objective) sans laquelle la pierre de la crédibilité maison ne peut reposer. Dira-t-on d’une critique qu’elle est trop personnelle, et on lui reprochera alors son manque d’ouverture au monde, et d’une autre qui souffre d’une expertise trop pointue qu’elle en devient cliniquement agaçante, stérile et sans âme.

Je préfère, quant à moi, la première, qui a l’avantage de faire la fête au vin même si la fête dérape à la seconde où se bousculent trop souvent au portillon de simili-faux experts qui ont réponse à tout. Même celles et ceux qui prennent les « bretts », les goûts liégeux et la futaille toastée pour des notions de qualité abouties du terroir !

Personnelle, oui, objective aussi !

Vous aurez remarqué, depuis plus de deux décennies, à chaque vendredi, que le bandeau supérieur de cette chronique affiche cinq vins (six dans les versions tablette et Web) « calés » dans les cases où se lisent la belle affaire, la poule de luxe, le personnage, la primeur en blanc, la primeur en rouge et l’émotion.

Plus qu’une visibilité privilégiée à rendre compte d’une infime partie des produits de qualité disponibles à la SAQ chaque semaine, ceux-ci témoignent, avant tout, de ma responsabilité à jouer les entremetteurs entre vous et le vigneron.

Car, oui, j’aime « mes » vignerons. Je me les approprie ici car je respecte au plus haut point le travail qu’ils font. Un peu comme ma compagne, elle-même critique gastronomique dans un canard anglophone de la métropole, qui affectionne « ses » chefs en cuisine. Une espèce d’émulation envers ces gens du beau boire et du bien manger que l’on souhaite toujours au top. Mais ce n’est pas toujours le cas. Que faire, alors ?

Pour madame, impossible de se glisser sous la table en fuyant ses responsabilités. What you eat is was you get. Elle n’a d’autre choix que de rendre des comptes car elle est au boulot. Changer de resto n’est pas une option. Que l’expérience soit concluante ou non. Que fais-je, pour ma part, quand un échantillon n’est pas à la hauteur ? Je passe au suivant !

Et, croyez-moi, ce ne sont pas les candidats qui manquent ici. L’intégrité que je me dois auprès de vous ne m’interdit-elle pas, pourtant, de révéler illico le pot aux roses quand une bouteille n’est pas à la hauteur ?

L’affaire n’est pas simple. Mais elle est limpide. Je pourrais me draper dans ces draps déontologiques plus blancs que blancs, tissés serrés sous la fibre de la défense du consommateur et de la qualité dont devrait faire preuve toute critique qui se respecte, oui.

Je l’ai même pratiqué au pied de la lettre, il y a quelques années de cela, en proposant mes flops dans mon guide annuel d’achat et, ici même, au Devoir.

Résultat ? L’opération s’est rapidement muée en une espèce de « critique spectacle », à l’image sans doute de ce que nous vivons dans notre société où les mauvaises nouvelles font vendre plus que les bonnes. Je suis avant tout un chroniqueur. Pas un laborantin ni un fin limier attaché à l’émission Enquête. Non dépourvu d’esprit critique, certes, mais tout de même emballé à l’idée de vous faire partager cette approche personnelle qui est la mienne. Sans vous abêtir. Je préférerai toujours un verre de pinard loyal qui vous regarde droit dans les yeux à un cru prétentieux qui vous regarde de haut. Mais ça, c’est personnel.

 

Il reste quelques places pour la thématique « Italiens sexy » proposée lors de la prochaine dégustation aux Amis du vin du Devoir, le 1er février prochain.

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