Résumer ici le Portugal et ses vins en moins de 3500 caractères, c’est un peu comme demander aux politiciens de tenir leurs promesses électorales au-delà de l’élection gagnée : pari aussi précaire qu’il semble perdu d’avance. Ma promesse à moi ? Vous enrichir de 3500 autres caractères la semaine prochaine en espérant que vous voterez Portugal !
D’à peine deux fois la superficie du vignoble bordelais dans son ensemble (autour de 225 000 hectares) et fort de plus de 250 cépages autochtones couvrant sept grandes régions, dont les Açores et Madère, ce pays atlantique adossé à l’Espagne a beaucoup à dire, à vivre, mais surtout à boire. Connaissez-vous d’ailleurs, en blanc, les cépages arinto, bical, sercial, verdelho, siria, fonte cal, fernão pires, malvasia fina et, en rouge, les baga, touriga nacional, alfrocheiro, bastardo, castelão, tinta roriz, jaen, rufete et autres souzão ?
Je me rendais cet été dans l’une de ces régions, soit la région centrale, plutôt inconnue du grand public, mais dont l’intérêt, a posteriori,est plus que manifeste. Comme si le pendule du temps égrenait ici ses secondes au sablier des siècles écoulés, en appellations Bairrada, Dão et Beira Interior, des secondes figées dans un espace-temps qui n’exclut nullement pourtant un solide arrimage au siècle qui est le nôtre. L’oenotourisme gagne par ailleurs une place de choix dans ce pays considéré encore aujourd’hui comme étant l’un des moins chers d’Europe. Sans compter évidemment l’extrême gentillesse des Portugais eux-mêmes.
Les contrastes sont saisissants. Les chais les plus humbles y côtoient des cathédrales technologiques sans pourtant verser dans la désappropriation culturelle vinicole, bien qu’il faille être vigilant à ne pas écouter ce chant des sirènes pour les cépages dits « internationaux », qui visiblement brillent ici par une aisance qui frise l’indécence. Les chardonnays de Almeida Garrett Wines et syrahs de Quinta dos Termos dans le Beira Interior en témoignent d’ailleurs avec éloquence. Petit parcours de ces trois régions centrales avec quelques belles maisons à la clé.
Bairrada. Entre l’Atlantique et la Serra do Buçaco, dont la chaîne montagneuse retient les eaux de pluie, cette appellation d’origine contrôlée est le siège de l’élaboration du premier mousseux portugais (1890) — véritable petite grenade organoleptique à dégoupiller calmement sur le fameux cochon de lait local (leitão assado) —, mais aussi, en raison de sa proximité avec la mer (20 km), une région où a toujours prédominé le négoce et l’export. Ne pas hésiter à visiter le fameux Buçaco Palace, dont les deux cuvées, en blanc et en rouge, distillent un parfum, mais surtout une ambiance surannée des plus exquises.
Adega de Cantanhede. Le système coopératif est encore toujours très affirmé au Portugal. Ici, ce sont 550 adhérents qui livrent sept millions de kilos de fruits et représentent entre 30 et 40 % de la production totale de l’appellation. Le Baga 2014 Marquês de Marialva (17,30 $ – 10651755 – (5) ★★ 1/2) est un bel exemple de vin simple mais authentique. Plusieurs personnalités vigneronnes militent d’ailleurs actuellement pour une meilleure reconnaissance de ce cépage capricieux, mais farouchement authentique, qui devrait s’affirmer dans les années à venir.
Messias. Cette maison familiale (1926) livre une production fiable, de bon niveau, à petit prix. Le baga reserva ainsi que le mousseux blanc de blancs avec ses 40 mois sur lattes sont tops !
Aliança. Attention, grosse pointure ! Cette entité fait partie du groupe Bacalhôa Vinhos de Portugal et assure, depuis 1927, quelque 2400 hectares de production dans quatre régions importantes du pays. Des vins pas très chers, de belle qualité. « Il faudrait monter en gamme avec des vins plus chers », me confiait l’incontournable Mario Neves, qui prend cette année sa retraite, un rien attristé par le fait que le consommateur d’aujourd’hui boit plutôt un « style » de vin plutôt qu’une origine déterminée.
Caves São João. Cette maison familiale (1920), célèbre entre autres pour la qualité de son « Espumante », mériterait à elle seule, à l’image de celle de Carlos Campolargo de la maison homonyme, une chronique entière. Mais pour des raisons différentes. La première, parce qu’elle a su attacher les ficelles du passé en « ennoblissant » en quelque sorte le présent, et la seconde, parce qu’elle explore l’avenir en en démultipliant les innombrables possibilités. Toutes deux irréprochables mais complémentaires. Chez São João, recherchez les cuvées à base d’arinto et de cabernet sauvignon : toujours en grande forme après un quart de siècle !
À grapiller pendant qu’il en reste !
Le P’tit Chenin 2017, Château de la Roulerie, Loire, France (19,95 $ – 13610836)
Ce chenin fait son chemin avec ce ruissellement citronné qui lui sied si bien, contrastant, avec cet éclat qui lui est propre, cette touche imperceptiblement douce où acidité et amertume livrent un fin corps à corps avec le vin. Rien de trop compliqué ici mais toute l’intégrité d’un blanc juvénile qui régale en faisant perler un désir de soif immédiat. Pétoncles grillés et son jus d’agrumes ? (5) ★★★
Château Cambon 2017, Beaujolais, France (24 $ – 12454991)
Ce gamay est d’un naturel si désarmant qu’il vous tire une larme d’émotion seulement à viser de votre vrille ce bouchon trop impatient de rebondir ! Une fois débouché, le déluge, que dis-je, un torrent fruité gronde, coule et s’anime, avec verve, fraîcheur, clarté et précision, jouant de souplesse mais aussi de densité derrière une bouche qui paraîtra coquine. Mais attention ! C’est sérieux, sérieusement bon ! (5) ★★★
Chinon Thélème 2014, Alain Lorieux, Loire, France (26,75 $ – 917096)
À mon sens, tout l’esprit de l’été embouteillé ici dans un esprit canaille de fraîcheur et de liberté, de partage et de générosité. À l’image de ces repas champêtre qui n’ont de fin que l’arrivée du soir aux portes de la nuit. Vin de soifs larges mais qui apparaîtra pour certains un tantinet sérieux (les sols crayeux ?) en début de périple mais qui assumera parfaitement sur les charcuteries et autres folichonneries. Servir frais, évidemment (5) ★★★ ©
Quinta da Romaneira Reserva 2013, Douro, Portugal (30 $ – 13090771)
Ce rouge corsé annonce-t-il déjà l’automne ? Il pave déjà la voie à des agapes plus substantielles dans un contexte où les soirs tombent tôt et où les esprits s’échauffent. Le voyage vaut le détour, louvoyant entre les méandres d’un Douro aussi aride que torride, marqué du sceau d’un schiste chaud de jour mais froid de nuit. Puissance et personnalité sont au rendez-vous sur une bouche ample, vineuse, profonde et longue. Authentique (5+) ★★★ 1/2 ©
Calera 2015, 40e Anniversaire, Pinot Noir, Central Coast, États-Unis (40,75 $ – 898320)
Cette cuvée demeure encore et toujours une brillante démonstration de la qualité des assemblages parcellaires mais aussi de l’habilité du vigneron à porter le fruité à ce niveau de fraîcheur qui lui interdit de dissoudre la délicatesse de la trame aromatique. Le tout est porté avec tout de même beaucoup d’élan par un fruité de cerise soutenu même s’il peine à nuancer, pour le moment du moins, l’ensemble de sa palette gustative. Un rouge qui offre du corps sur de beaux tanins sphériques et bien mûrs (5+) ★★★ 1/2 ©
Château de Sancerre, Cuvée du Connétable 2014, Sancerre, Loire, France (51,75 $ – 13235415)
Ce sauvignon issu des meilleures parcelles du domaine et vinifié pour deux tiers en fûts est un petit monument de bravoure et d’intensité. Une haute expression du fruité perce ici derrière une densité peu commune, le tout véhiculé par une acidité qui semble en resserrer la tenue tout en soulignant une profondeur qui semble abyssale tant elle fascine et régale. Un blanc sec qui a du fond, de la complexité avec ses nuances de poivre, d’anis verte, de fumée et de pamplemousse et une finale plus que digne d’intérêt. Diamétralement opposé à un sancerre de chez Vacheron ou de Boulay. Bar au fenouil ? (5+) ★★★★ ©