Vins du Québec: des pas de géant en moins de 20 ans! (1)

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Nous sommes au tout début des années 1980 et déjà, dès l’aube, par une journée qui s’annonce glaciale, une file d’irréductibles se masse devant la Maison des vins dans l’espoir de pouvoir mettre la main sur une bouteille de Tignanello et autre Sassicaia. Le 31 août 2018 à midi pile top chrono, une autre file d’irréductibles se masse, mais en ligne sur le Web cette fois, pour s’assurer de mettre la main sur deux flacons (pas plus !) des « Entêtés » 2017 du Domaine du Nival. Ouf !

Qu’est-ce qui a changé en moins de 40 ans au pays du Québec ? Si l’intérêt s’est nettement dissipé du côté des super toscans, il s’est par contre démultiplié pour les meilleures cuvées récoltées, vinifiées et mise en bouteille chez nous. Jacques Cartier ne se doutait pas alors, lorsqu’il longe les rives de l’isle de Bacchus où croît le vitis riparia que, près d’un demi-millénaire plus tard, les vignobles de Sainte-Pétronille et de la seigneurie de Liret célébreraient des vins issus d’hybrides américains dont les personnalités se situent pourtant à mille encablures des centaines de cultivars de vitis vinifera foisonnants au pays du célèbre explorateur.

Les vignobles cités plus haut font partie d’une poignée d’autres entités (71 pour être précis) s’échinant à produire, sur moins de 500 hectares (471 selon le Conseil des vins du Québec), une batterie originale de vins issus majoritairement d’hybrides (croisement entre deux espèces de vigne) dont l’originalité n’est égalée que par l’expertise assumée des vignerons à leur endroit. Résultat ? Une production inédite, mais surtout une qualité encore impensable il y a moins d’une décennie de cela !

Distincte, la société québécoise ?

La vigne est une métaphore dont il ne faudrait pas, chez nous, mésestimer le sens. Téméraire, elle brave ses hivers avec une résilience consommée pour renaître avec cette impatience d’une récolte à livrer, forçant dans son sillage le vigneron à user de mille trésors d’imagination pour la gratifier de demains souvent improbables.

Pourtant, elle résiste, persiste et signe, appuyée par ces mêmes artisans qui n’ont pas froid aux yeux mais ont beaucoup de coeur au ventre. Les visiter chez eux convainc non seulement qu’ils ont plus d’un tour dans leur sac, mais aussi une espèce de ferveur contagieuse à vous prouver que ça marche. Même, mais aussi et surtout avec… les hybrides.

Le mot est lancé : HYBRIDES ! Par saint Bacchus-du-Précieux-Sang, n’allez tout de même pas vous cacher derrière la grange en entendant le mot ! Si le terme est à la mode dans l’industrie automobile, pourquoi ne le serait-il pas au vignoble ? Même les geeks pure-laine-tricotés-serrés (ceux du 31 août 2018 à midi pile top chrono) en sont dingues. Les opposer, en les traitant de roturiers, aux cépages dits « nobles » que sont les chardonnays, merlots et autres cabernets serait à mon sens diluer ce qui fait encore une fois l’exception québécoise. Par son adaptation au climat et aux terroirs locaux, le sang de ces hybrides monte dans les sarments de vigne comme la sève coule dans l’érable du même nom : des produits d’ici qui témoignent d’une réalité d’ici. Pour des vins d’ici.

Sur le terrain, bien que les « nobles » s’installent peu à peu avec parfois de jolis éclairs de génie, les frontenac noir, marquette, maréchal foch, seyval noir, petite perle et autres lucy kuhlmann en rouge, et vidal, frontenac blanc, st-croix, st-pépin et seyval blanc, pour ne nommer que les plus plantés, atteignent désormais des sommets qu’un travail acharné récompense, même s’il y a encore beaucoup à faire.

« C’est la mode qui vient vers nous et non nous, vignerons québécois, qui voulons faire des vins à la mode en raison de la grande fraîcheur de nos vins », me confiait récemment Martin Laroche du Domaine Le Grand St-Charles. Des acidités oui, souvent décapantes, qu’encore une fois des trésors d’imagination parviennent à maîtriser. L’utilisation, par exemple, de la levure désacidifiante 71B, le palissage en hauteur, l’éclaircissage ou l’assemblage judicieux avec d’autres cépages moins acides permettent de trouver les équilibres requis.

Et les résultats sont probants. Ce ne sont là que quelques astuces et techniques dont usent nos vignerons pour rendre plus crédible encore l’authenticité, mais surtout la singularité de nos hybrides. L’industrie est encore très jeune, mais l’avenir vaut bien plus qu’une promesse électorale. Au rythme où vont les choses, il ne faudra pas attendre 20 ans pour susciter un engouement hors frontières pour les vins d’ici. Hybrides ou pas.


À grappiller pendant qu’il en reste

Métis Sauvignon Blanc 2016, Pascal Jolivet, Klein Constantia, Afrique du Sud (28,90 $ – 13631258) : Le ligérien Pascal Jolivet a concentré ici son expertise et son sauvignon blanc chéri à l’autre bout de la planète vin, dans une appellation qui relève non seulement le défis avec succès mais qui en rajoute une couche en le dotant d’une substance, d’une densité supplémentaires. On le croirait tannique tant le fruité s’accroche aux parois, resserrant au passage les lèvres sur un fruité d’agrume mûr et d’épices. Un blanc sec intense, soutenu, vertical, énergique, au caractère affirmé (5) ★★★1/2

Pouilly-Fuissé 2016 « La Maréchaude », Manciat-Poncet, Bourgogne, France  (32 $ – 872713) : Derrière, ou devrais-je dire, au delà de la transparence jaune-verte brillante de la robe, bondit, tel un kangourou que l’on n’attend plus, un incomparable éclat fruité. Ressort habilement comprimé en formule détente fruitée tant ce chardonnay s’affiche sans détour, avec le plus beau sourire, derrière ses dents blanches immaculées. C’est bon, magistralement élevé sous bois, subtil, tonifiant et ponctué par une finale digeste de belle longueur (5+) ★★★1/2 ©

Champagne Leclerc Briant Brut Rosé, Champagne, France (68 $ – 13737685) : Imaginez les premières lucioles d’été chatouillées par des herbes hautes qui les maintiennent au sommets de leurs luminescences respectives et vous avez-là une toute petite idée de ce que sont capables de livrer les chardonnays de cette splendide cuvée rosé. Les 5% de pinot noir des Riceys conférant à l’ensemble des demi-teintes de soleil couchant que n’auraient pas reniés ces peintres fauvistes et pointillistes des siècles précédents. Cela dit, j’avoue un plaisir non dissimulé à déguster ce champagne. Cette approche festive mais aussi sophistiquée, comme si l’on ne pouvait pas s’amuser sans verser dans la vulgarité. La finesse ensuite, qualité première d’un champagne sans laquelle il ne serait pas champagne. La cohésion enfin, véritable festin pour esthète dont les équilibres entre sucres (ici 4 grammes au litre), acidité et fruité participent à l’émotion du beau, du vrai, du magique. Un bio de première ligne à décliner à l’apéritif pour ouvrir les esprits et libérer le verbe (5+) ★★★★

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