La machine à voyager dans le temps

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Le vin est un art que l’on dit éphémère. À peine accouché de sa fermentation originelle et le voilà déjà livré aux affres d’une lente mais inéluctable oxydation. L’usure du temps, dit-on. Comme pour l’être humain, son temps est compté. Les amateurs qui disposent de caves à vin parfois pharaoniques devraient y « boire », car un vin bu sur le tard n’est ni plus ni moins qu’un rendez-vous manqué.

Une fuite vers l’avant

J’aime bien l’idée de laisser du temps au temps. L’œnologue champenois ne bousculera pas le vin laissé sur lattes pendant 48, 72 voire 120 mois, alors qu’un boucher ne dédaignera pas attendre ses côtes de bœuf 48, 60, 120 jours et même plus pour en approfondir les saveurs. Et que dire de ces amants déjouant le sablier du temps sous des parades amoureuses à faire rougir un saint ? « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » C’est que le temps sait faire.

En matière de vin, un petit coup de pouce au temps n’est cependant pas déplacé pour autant. Prenez un vin que vous passez en carafe. Que se passe-t-il alors ? Il y aura d’abord une évaporation de l’alcool. Plusieurs degrés de cet alcool pourraient être retranchés au vin après 12 ou 24 heures. Mais pas les saveurs élémentaires, contrairement aux idées reçues. Un vin ne « mange » pas ses sucres, par exemple, c’est la structure qui change.

Intervient ensuite l’oxydation en tant que telle. Après quelques minutes déjà, l’impression dégagée en sera une d’ouverture, de libération aromatique, suivie en bouche d’une sensation arrondie de souplesse des tanins. Les notes « piquantes » de soufre et autres touches réductrices donneront l’impression de s’évanouir alors que le vin gagnera en textures. À noter cependant que toutes déviations, même subtiles, liées de près ou de loin au fameux bouchon, ne disparaîtront pas.

J’ai testé cette semaine pour vous deux instruments — aux antipodes l’un de l’autre — susceptibles d’avoir un impact sur leurs oxydations respectives. Nul protocole scientifique ici, sinon, une dégustation comparative à l’aveugle du Rioja Conde de Valdemar Crianza 2015 à base de tempranillo (16,20 $ – 897330 – (5) HH 1/2). Résumons.

L’aérateur. Par Daniel Durand, artisan (69 $, taxes et frais postaux inclus).Cristal entièrement soufflé bouche, ce bel objet conçu scientifiquement selon les préceptes du « laminage des fluides de Bernoulli », que l’on place en entonnoir au-dessus du verre, fonctionne. Encore faut-il être attentif aux résultats. Le nez du tempranillo semblait plus « relâché », plus ouvert, un rien plus détaillé. La bouche elle, m’est apparue plus souple. Illusion ? Peut-être. Reste qu’il a été testé trois fois avec le même résultat.

iFavine, the Sommelier, Breville (560 $). Le principe est simple : injecter un flux constant d’oxygène purifié et hautement concentré pour améliorer les saveurs et lisser les tanins. Ici, une minute correspond à une heure d’aération, chaque cépage ayant son temps d’oxygénation requis selon un tableau fourni dans la brochure. Dans le cas du tempranillo, on suggère deux minutes. Trois tests plus tard avec un verre témoin évalué par triangulation (trois verres, mais deux semblables), mêmes résultats. Les arômes originels de cerise se sont déplacés vers le moka avec une trame tannique moins ronde, plus en relief. Mon impression est que le vin a cédé sur le plan qualité pure. Cela demeure mon impression. Morale de l’histoire ? Prenez deux heures à vous ouvrir au vin plutôt que deux minutes à le voir percoler. Vous pourrez ainsi faire d’une pierre deux coups : boire et manger !

La semaine prochaine : champagne !

Fernando Mora : monsieur Garnacha !

À peine passé le cap de la mi-trentaine et voilà que Fernando Mora recevait dernièrement son diplôme de Master of Wine, sans conteste la consécration suprême parmi les professionnels du vin. Déjà à l’œuvre cependant depuis 2008 du côté de Valdejalón et de Campo de Borja, et plus particulièrement depuis 2010, alors qu’il noue un partenariat avec des collègues, Mora consacre désormais son temps et sa passion pour la garnacha, cépage emblématique espagnol dont il tire la sève sur plus d’une cinquantaine d’hectares. Vieilles vignes cultivées en agriculture biologique sur flanc de coteaux perchées entre 600 et 1000 mètres, à l’intérieur des terres, à l’ouest de Barcelone.

L’homme est ambitieux et passablement futé et est considéré comme l’une des figures montantes en Espagne. Rencontré lors de son passage au Québec pour l’événement Somm360 en compagnie de son agent François Chartier, Mora avouait caresser l’idée d’en arriver un jour à déterminer des zones délimitées en crus régionaux, en premier cru et en grand cru sur ses parcelles, poussant à la roue d’une législation espagnole qui serait peut-être mûre pour en saisir la pertinence. Histoire à suivre.

Je dois avouer avoir été impressionné par la confection de ses vins, de leur acuité et des singulières différences qu’il y avait entre eux. La garnacha y était non seulement vibrante et bien tranchée sur le plan fruité, elle offrait d’étonnantes subtilités entre les cuvées. Une histoire de terroir ? Sans doute, mais le vigneron y est aussi pour quelque chose, car les vinifications y sont parfaitement maîtrisées. La bonne nouvelle, c’est que deux cuvées ont été retenues par la SAQ. Je vous ferai part de leur sortie éventuelle. Quelques mots.

El Casetero Macabeo 2017, D.O. Campo de Borja (18,30 $). Le cépage blanc macabeo se démarque ici par son souffle fruité de belle intensité, opposant rondeur et vivacité à la façon d’un chardonnay ancré dans son calcaire. C’est net, propre, éclatant, très gourmand ! (5) ★★★

Botijo Blanco 2016, D.O. IGP Valdejalon (20,60 $). On a ici 15 % de macabeo, complété de grenache blanc qui confère texture et amplitude en bouche. Un blanc à la belle robe dorée, aux arômes d’agrumes confits, le tout résultant d’un travail des lies qui fournit une impression supplémentaire de richesse. Une opération parfaitement maîtrisée qui laisse envisager un avenir plus que prometteur pour ce type de vin. Surtout à ce prix. (5 +) ★★★ ©

El Casetero Garnacha 2016, D.O. Campo de Borja (18,30 $). Pure réjouissance d’un fruité primeur qui sait bondir et rebondir, avec clarté, vivacité et conviction. Transparence et pureté d’expression. (5) ★★ 1/2

Botijo Roja 2015 D.O. IGP Valdejalo (20,65 $). Éraflage pour 50 % de grenaches noirs plantés sur sols alluvionnaires et sous-sol argileux avec cette impression d’un vin plus large et suggestif, avec ces notes d’huiles essentielles d’orange et de fleurs rouges, le tout appliqué sur des tanins fins, mûrs, très frais, consistants. Stylé. (5) ★★★

AS Ladieras 2015 D.O. Campo de Borja (36 $). Assemblage pour un tiers de barrique, de cuve-ciment et d’amphores en forme d’œuf pour des grenaches plantés à 700 mètres sur versant nord. Résultats étonnants ! Nous sommes au niveau d’un premier cru, avec cette bouche tendue, des arômes précis pour un palais construit avec cette alliance précieuse de finesse et de puissance. Le tout pourvu d’un indice de palatabilité exponentiel ! J’adore. (10 +) ★★★ 1/2 ©

Frontonio Supersonico 2016 IGP Valdejalo (35,25 $). Fernando Mora parle ici de son bébé comme d’un Aloxe-Corton en raison de l’intensité, de la profondeur et de la souplesse de son fruité partagé ici (encore une fois) entre puissance et finesse. Expression magnifique d’une garnacha traitée aux petits oignons et issue d’un grand terroir. Distingué. L’avenir de l’Espagne et de la garnacha est assuré pour au moins un siècle à venir ! (10 +) ★★★★ ©

Via Terra Garnacha Blanca 2017, Edetaria, Terra Alta, Espagne (17,75 $ – 13802969). Découvert, hélas ! sur le tard sans qu’il soit toutefois trop tard pour s’en servir par rasades entières tant son indice de buvabilité est à ce point élevé. Et puis, cette garnacha, ronde, parfumée et peu acide, rivalisant de textures pour mieux en souligner la densité et la profondeur. Ce petit domaine mérite amplement votre reconnaissance. Un blanc sec tout indiqué pour les volailles du temps des Fêtes. (5) ★★★

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