Environ 16 000 vignerons détiennent 90 % du vignoble champenois. Impossible de vous les présenter tous. Des vignerons qui vendent entièrement leurs raisins aux grandes maisons — des « négociants manipulants », exportant à eux seuls plus de 70 % des volumes dans le monde (selon le Comité interprofessionnel du vin de Champagne) — ou d’autres encore, les « récoltants manipulants », qui eux vendangent, champagnisent leurs fruits et couchent sur lattes leur production, à l’ombre de leur caveau familial.
Je vous dressais le profil de ces derniers, ici même, à pareille heure l’année dernière. Ces Bérêche, Couche, Doquet, Gerbais, Gimonnet, Lassaigne, Selosse et autres Savart, des artisans qui s’emploient, à leur échelle, à personnaliser leurs cuvées issues de l’un ou l’autre des 319 crus (communes) champenois, mais aussi de parcelles familiales uniques dont l’empreinte terroir assure un surcroît de singularité à leurs cuvées.
Jean-Baptiste Geoffroy, de la maison familiale du même nom, est de ceux-là. Les Geoffroy sont de Cumières, une commune de la Vallée de la Marne, où les 160 hectares sont classés 1er cru. En 2008, pour des raisons d’espace logistique, Jean-Baptiste et sa compagne, Karine, décident de déplacer leurs activités à Ay, tout en faisant fructifier une mosaïque de 35 parcelles (15 hectares au total, dont trois en biodynamie) du côté des communes de Damery, Hautvillers, Fleury la rivière et surtout Cumières. Je rencontrais l’homme récemment. Aussi captivant que ses champagnes. Quelques notes.
C’est avec la cuvée amirale que l’on saisit l’esprit d’une maison. Un condensé de savoir-faire où l’assemblage judicieux de plusieurs millésimes constitue le fil d’Ariane. C’est le cas de cette cuvée Expression 1er Cru (58,75 $ – 13699754) déclinant pour tiers pinot noir, pinot meunier et chardonnay avec 35 % de réserve (vins de millésimes antérieurs) sur une base de 2014. Clarté fruitée sur un ensemble tonique (pas de malolactique ici), émancipé, digeste, d’excellente tenue. Des tests de dosage (ajout de liqueur avant expédition, ici à base de moût rectifié de raisin) permettent d’ajuster le tir avec plus de précision. Bref, un champagne maîtrisé, mais aussi inspiré. (5+) ★★★ 1/2. Les six autres cuvées offertes (en quantités hélas limitées) valent le détour.
Empreinte 1er cru 2012 (73,50 $ – 14140848). Ses 70 % de pinot noir fermenté, pour 80 % sous bois, combinés à un élevage de quatre ans sur lattes, confèrent à cette mousse enveloppe et profondeur, sans la moindre touche de réduction. Style et caractère ! (5+) ★★★★
Volupté 1er Cru Blanc de Blancs 2011(95,50 $ – 14140856). Cette cuvée issue de deux parcelles parfaitement orientées (dans ce millésime compliqué) brille avec une exquise pureté, intégrant liqueur de dosage et vin avec une rare complicité (après un an de dégorgement, soit ici décembre 2018). À peine dosé, avec une tension fine, une texture et une longueur de bouche plus qu’appréciable. (5+) ★★★★
Les Houtrants Complantés 1er Cru (319,50 $ – 14140864). Ce brut nature issu de la complantation de cinq cépages (dont l’arbane et le petit meslier) n’a ni genre ni sexe, mais les rassemble tous ! Un assemblage d’une rare liberté de ton qui, sur une base de 2013, s’enrichit des cinq millésimes antérieurs pour mieux donner cours à une ouverture presque mozartienne. Un champagne bien sec, intense, complexe, d’une exquise musicalité. (10+) ★★★★ 1/2
Rosé de Saignée 1er Cru (81 $ – 13699797). Ce pinot noir, à 100 %, est « saigné » alors qu’il macère encore en phase aqueuse avec pour résultat une délicatesse de flaveurs qui le destine à la table ou à un autre endroit plus festif encore. À vous rosir l’esprit tant sa finesse touche et trouble à la fois. (5) ★★★★
Blanc de Rose 1er Cru (139 $ – 13699738). Symbiose parfaite entre pinot et chardonnay, qui, à l’intérieur d’une comacération, unissent leur profil pour une synthèse tout ce qu’il y a de magique. C’est ensorceleur, grisant, d’une sensibilité à fleur de peau. (5) ★★★★ 1/2
29 Novembre 2019