Vins de Bourgogne : Des clefs pour autant de serrures

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Vins de Bourgogne : Des clefs pour autant de serrures

 

L’art, même éphémère, n’est jamais simple à saisir, voire à éclaircir. Le vin est-il un art pour autant ? Poser la question c’est déjà réaliser l’étendue même de l’attrait que le vin suscite. Ne serait-ce que par sa capacité à émerveiller comme à confondre, qu’il soit des antipodes ou à deux ouvrées de chez vous, le vin rejoint celles et ceux qui d’instinct savent s’ouvrir pour mieux célébrer, par le truchement de leurs sens, cet art nouveau révélé au fil des millésimes.

 

Si l’art est universel, le vin de Bourgogne, lui, est intemporel. Son art consiste toutefois, par le truchement d’un formidable patchwork, à révéler terroirs, pédologies, crus, climats et autres lieux-dits avec la complicité de seulement quelques cépages dont deux, plus spécifiquement, le chardonnay et le pinot noir, semblent avoir été adouber par les dieux, et cela… depuis que les dieux existent !

 

Bien sûr que le gamay, l’aligoté, le melon, le pinot beurot, le sacy ou le césar ne manquent pas d’ajouter aux coloris de la palette chromatique locale mais nulle part ailleurs qu’au pays des Ducs de Bourgogne, chardonnay et pinot noir triomphent-ils en insufflant une acuité, une luminosité par ailleurs inégalée aux quatre coins de la planète vin. L’adéquation y est parfaite. Une référence ? Un étalon de mesure ? Une consécration ? Chauvinisme mis à part, il apparaît bien que oui.

 

Vous en doutez encore ? Il suffit pour s’en convaincre de voir briller les yeux des gens quand le simple mot « bourgogne » est prononcé. Un terme générique pour une région plus spécifique qui loge à son tour mille petits pays intérieurs riches d’un même langage mais pourvus d’accents, de dialectes, de patois souvent forts différents. Une modulation quasi exponentielle ! Alors, une Bourgogne, oui, mais laquelle ?

 

Campée sur 25 kilomètres de longueur par quelques kilomètres de largeur entre Dijon au nord et Mâcon au sud, la voilà prête à vous émerveiller comme à vous confondre avec ses 33 grands crus en Côte D’Or, et bien sûr ceux de chablis et de ses 7 crus d’exception ; ses 562 climats classés en 1er cru ; ses 55 appellations communales en Appellation d’Origine Contrôlée sans oublier ses 28 en A.O.C. régionales. Un puzzle si inextricable qu’il en devient presque jouissif de n’en jamais posséder totalement la clef.

 

Sans doute est-là sa force même. Multiplier les clefs pour autant de serrures, à l’intérieur d’un trousseau à vous confondre un bénédictin comme un cistercien bien au fait de la richesse du discours végétal que ces hommes sages avaient su d’instinct percevoir par leurs observations sur le terrain. Un milieu grouillant d’une telle subtilité de coloris, de tonalités, de musicalités ou d’ambiances qu’il ne cesse encore aujourd’hui, et ce, plusieurs siècles plus tard, d’interroger pour mieux exalter l’amateur de beau vin.

 

Est-ce à dire pour autant, comme le soulignait le grand Henri Jayer sous la plume précise et enthousiaste du spécialiste des vins de Bourgogne Jacky Rigaud que « Le terroir est l’âme du vin » ? Relayons une fois de plus les propos du célèbre vigneron de Vosne-Romanée cité par l’auteur du livre Ode aux grands vins de Bourgogne : « Le lien entre le type du vin de Bourgogne et son terroir est facile à démontrer, car le terroir argilo-calcaire est relativement homogène et le cépage est unique : pinot noir pour les rouges, chardonnay pour les blancs. Bien évidemment, au sein de cette unité, la diversité d’expression est quasi infinie, tant le jeu des failles, des combes, de l’érosion, des microclimats, des expositions, des altitudes etc. s’amuse à compliquer les choses… pour le plus grand plaisir de l’amateur de Bourgogne ».

 

Si cette « âme » semble ne faire aucun doute sur ce qui met en lumière cette typicité singulière liée aux vins de Bourgogne, il semblerait aussi approprier pour ne pas dire généreux de souligner l’apport des hommes à révéler cette âme au grand jour. Car que serait la vigne, elle-même portée par les entrailles de son sous-sol, sans cet instinct de vigneron à la conduire là où elle excelle ?

 

Sur leur lopin de terre le plus souvent estimé à un seul hectare pour ne pas dire fractionné en ares ou en centiares, ces femmes et ces hommes connaissent chacun des plants de vignes comme s’il s’agissait de leurs propres enfants. D’où les nombreuses interprétations mises à jour à l’intérieur d’un même finage parmi les membres d’une famille végétale séparée d’à peine quelques mètres seulement. Ces traits de personnalité à l’intérieur d’espaces aussi restreint ont de quoi étonner. Nous sommes en pays de nuances et de subtilités.

 

Il serait tentant d’affirmer que les vins de Bourgogne sont les meilleurs au monde. Du moins, en ce qui a trait à l’interprétation qu’en font le chardonnay et le pinot noir. Ridicule en effet d’imaginer que ces deux cépages ne brillent pas aussi du côté de la Yarra Valley en Australie comme en Oregon aux États-Unis ou ailleurs. La vérité, s’il en est une, est que cette petite merveille géologique aux multiples expositions et altitudes que constitue le pays bourguignon réussit le pari de réunir sous le chapiteau d’un climat continental, une somme d’adéquations, de concomitances, supérieure à tout ce qui se présente ailleurs de par le vaste monde vitivinicole.

 

Comme si, à l’intérieur d’une superficie somme toute aussi restreinte que celle du vignoble bourguignon, tous les éléments physiques (clones, levures, terroirs, orientations, dénivellations, techniques etc.) contribuaient à révéler l’exception, non pas sous l’angle d’un seul millésime mais sur ceux écoulés au fil des siècles. Et ce, avec une régularité qualitative qui témoigne de l’indéniable primauté des terroirs de cru à ne jamais décevoir.

 

C’est cette constante et insatiable quête du Graal qui motive les aficionados – dont vous êtes ! – à poursuivre plus avant, non sans prévenir les nouveaux venus qu’ils s’exposent ni plus ni moins à des vertiges organoleptiques dont ils soupçonnent encore à peine toute la teneur et l’intensité. Sans compter le fait qu’ils n’auront pas assez de toute une vie pour en faire le tour ! « Dans les petits pots les meilleurs onguents », avaient l’habitude de dire les anciens. Non seulement serez-vous ici comblé par l’étonnante diversité des vins de Bourgogne mais trouverez vous-mêmes à vous émanciper, à la fois par ce que les anciens ont pérennisé et par ce qu’une nouvelle génération de vignerons persiste à réaliser. Pour leur bonheur. Et nos vertiges !

Avril 2020

 

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