Le salon Raw Wine — une initiative de la Master of Wine Isabelle Legeron, autrice du livre Natural Wine : An Introduction to Organic and Biodynamic Wines Made Naturally (Kindle, 2014) — réunissait les 24 et 25 octobre à Montréal des artisans de vins dits « nature ». Nature ? Aucune réglementation ne les encadre, sinon le fait d’être bios, aux champs comme au chai, sans autres formes d’intrants que l’apport de sulfites en infime quantité (moins de 30 ppm) ou même sans la moindre molécule de l’intrant en question. Une équation gagnante — zéro sulfites = zéro maux de tête — pour le consommateur lambda dont le naturel revient au galop quand vient le temps de parler de santé et de son corollaire, l’environnement.
Peu de néophytes sur place, mais des fous (geeks) de vins nature prêts à passer l’éponge sur quelques petits défauts et autres sournoises déviations organoleptiques susceptibles de flouter le visage du vin. Mais voilà, à ma grande surprise, s’imposait ce constat : hormis quelques légers manques de transparence, il y avait une qualité d’ensemble qui ne m’est jamais apparue aussi convaincante que lors de cette seconde édition.
La faute aux filtrations stériles ? À une mise en bouteille irréprochable sur le plan de la propreté ? À l’ajout infime de sulfites avant le long voyage en conteneur non réfrigéré ? Chacun son truc. Toujours est-il que la pertinence des choix d’Isabelle Legeron pour cette édition du Raw Wine me réconciliait avec ces « natures » ou, mieux, offrait une image positive de ces vins qui peuvent aussi verser dans tout, n’importe quoi et… bien pire encore !
L’agence québécoise Univins organisait quelques jours plus tard une table ronde avec trois vignerons convaincus des vertus du bio. Pas de ces intransigeants ayatollahs pour qui il ne saurait exister d’autres vins que ces « natures » pure race, frappant au passage d’ostracisme, pour ne pas dire d’apostasie, cet « autre » qui ne boit pas comme eux. Plutôt des gens éveillés dont les mille et une interventions éclairées sur le terrain visent à pérenniser leur métier de vigneron et, du coup, ce patrimoine végétal vivant qui les fait vivre.
Il s’est dégagé pêle-mêle une foule d’observations en compagnie de la Valencienne Maria Sancho (Aranléon), de Robert Eden (Château Maris en Minervois)et de Nelson Ortola (domaine éponyme en Languedoc). Si tous s’entendent pour dire que le vin doit être bon avant tout, sa vitalité naturelle l’incline à susciter rapidement, chez celle ou celui qui le boit, une émotion particulière spontanément libérée, hors des codes habituels de la perception classique.
« Il semble y avoir parfois une perte de contours, de traçabilité quant à l’origine dans certains vins nature », disait Robert Eden, qui a adopté la biodynamie comme moteur de vie dans son vignoble acheté en 1997, un vignoble alors « éteint » qui n’était plus que l’ombre de lui-même et qui aujourd’hui, avec ses brillantes syrahs et grenaches gris, fait écho au terroir comme une caisse claire de résonance. Je le rejoins sur ce point.
N’importe quel quinqua ou sexagénaire (dont je suis) pouvait, sans trop de difficultés, départager par exemple un saint-émilion d’un pauillac, un nuits-saint-georges d’un pommard ou un cahors d’un madiran. Les codes de références, institués en France par la notion d’appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis 1936, participant à définir le goût, en fonction, par exemple, des techniques utilisées ou des cépages plantés dans des zones précisément identifiées.
Mais aujourd’hui ? Avec cette montée en puissance des vins bios, il semble s’opérer un certain clivage générationnel entre les palais d’arrière-garde (sans vouloir vexer personne) et les millénariaux, pour qui le goût, disons, « classique » des vins issus de l’agriculture traditionnelle semble pour le moins ennuyeux. Ou déphasé. Faire croire toutefois à cette même génération que le « vrai goût » du vin passe par ces natures déviantes et mal fagotées relève de la supercherie. Le dégoût du vin serait plus approprié, si vous me permettez l’expression.
8 Novembre 2019