Jacky Rigaud et le vin aujourd’hui

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Jacky Rigaud, auteur, expert en dégustation géo-sensorielle et fin connaisseur de la Bourgogne faisait paraître récemment Le monde du vin aujourd’hui (éditions Terres en Vueswww.terre-en-vues.fr). Un livre essentiel pour qui veut prendre le pouls actuel du vin, à travers une analyse personnelle, documentée et bien sentie. Je lui posais quelques courtes questions en Décembre 2021. Les réponses sont à la hauteur du personnage, à la fois précises, fouillées et fort nourrissantes. Bonne lecture, accompagnée bien sûr d’un Cros Parentoux du grand Henri Jayer !

Question. Jacky Rigaud, pourriez-vous, à titre d’expert en dégustation géo-sensorielle, nous entretenir sur cette pratique ?

Réponse. « La dégustation géo-sensorielle, c’est le retour à la dégustation des gourmets d’antan, chargés de s’assurer que les vins dont la provenance était écrite sur le tonneau étaient sincères, exprimaient bien le message gustatif de leur lieu de naissance. Ils étaient des experts en géo-sensorialité ! Les gourmets étaient des dégustateurs professionnels qui se sont imposés dès le XIIème siècle quand le commerce du vin est redevenu aussi important que pendant l’Antiquité. Ils étaient organisés en de puissantes corporations jusqu’à la Révolution française. Comme toutes les corporations, celle des « courtiers, gourmets, piqueurs de vin » fut abolie. Ils furent oubliés au XIXème siècle, mais heureusement Jules Lavalle en a gardé la mémoire dans son livre écrit en 1855. Au XIXème siècle les vins fins, synonymes de vins des aristocrates, ont perdu de leur importance et les vins ordinaires (les vins communs) prirent beaucoup plus de place. Il a fallu attendre les années 1850 pour que les vins fins se vendent à nouveau six fois plus chers que les vins communs. Leur renaissance pouvait débuter. Par ailleurs, les négociants en vin, conquis par les avancées de l’industrialisation, ont élaboré de plus en plus de vins issus de la construction d’un goût, en utilisant de plus en plus d’artifices technologiques et même des coupages. L’arrivée du phylloxéra confirmera ce mouvement. On se mit à faire de plus en plus de « vins d’imitation »[1] car les vignes fines furent détruites partout en Europe.

 

Le réveil du vin fin, comme un vin d’origine, se fit au début du XXème siècle, en France en particulier, avec la loi sur les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) de 1935. Les guerres mondiales freinèrent ce renouveau, et il faut attendre les années 1950-1970 pour que s’organise véritablement le retour à la viticulture fine. Il fallait une dégustation d’inspiration scientifique pour accompagner ce mouvement de retour au vin de terroir et pour s’assurer que les demandes d’extension des zones d’appellation étaient légitimes. C’est Jules Chauvet qui fut choisi par les ingénieurs de l’Institut des Appellations d’Origine Contrôlée (INAO) pour élaborer cette dégustation qui aboutit à la fin des années 1960 à l’analyse sensorielle et au verre INAO. Etant un spécialiste des odeurs, Jules Chauvet imposa le primat de la dimension aromatique dans l’appréciation du vin, pour le certifier et le noter. Par ailleurs, la notion de typicité, comme celle de qualité, prirent le pas sur celle d’origine. Cela se fit dans un contexte où la viticulture était de plus en plus chimique et les vins de plus en plus « arrangés » par les produits œnologiques. Le « Beaujolais nouveau », aux fameux arômes de banane issus de levures sélectionnées, en fut la caricature.

Cependant, la dimension aromatique pour qualifier l’origine s’avère peu sûre, d’où le rappel d’Henri Jayer dans les années 1980 que « le vin est fait pour être bu et non pas pour être reniflé ». C’est lui également qui me rappela que le vrai vin de terroir s’exprime essentiellement par sa texture, donc par son toucher de bouche. C’est ainsi, qu’à ses côtés, je me suis engagé dans un mouvement que nous avons appelé, après coup, « le réveil des terroirs ». Henri Jayer fit école auprès de nombreux jeunes vignerons des années 1980, dont Denis Mortet, Pierre Morey, Dominique Lafon ou Christophe Roumier, pour en citer quelques-uns en Bourgogne, les frères Foucault et Didier Dagueneau en Loire, Marc Kreydenweiss en Alsace, Stéphane Derenoncourt en Bordelais, Elisabetta Fagiuoli en Toscane, Ted Lemon et Chris Howell en Californie… Le retour aux bonnes pratiques viticoles à la vigne (biologie, biodynamie, agroforesterie.) fut initié un peu partout et les pratiques les plus naturelles possibles s’imposèrent dans les chais et cuveries.

 

A nouveau s’imposa l’intérêt pour la compréhension du lieu et son respect. C’est le lieu, le « climat » comme on l’appelle en Bourgogne, qui guide l’esprit et la main de ces vignerons !

Ainsi s’imposa progressivement le retour à la dégustation géo-sensorielle du gourmet qui conjugue le goût et la connaissance du terroir. On ne peut apprécier l’originalité des vins de terroirs que par le retour à la poly-sensorialité des gourmets qui tâtaient le vin avec leur tastevin. Ainsi, en dégustation géo-sensorielle, on réhabilite le sens physique du toucher et le sens chimique gustatif, tous les deux situés en bouche, comme la rétro-olfaction. Pour apprécier un vin de terroir, on commence donc par le mettre en bouche. La focalisation sur la salivation sera particulièrement importante. L’olfaction directe et l’appréciation de la robe du vin se fera dans un deuxième temps. D’une manière générale, les terroirs volcaniques, sédimentaires et cristallins ne génèrent pas les mêmes qualités de matière et de minéralité dans les vins qui en naissent. Au sein de chacune de ces trois grandes catégories de terroirs, la diversité est reine. En terroirs sédimentaires, par exemple, plus les argiles sont denses, plus les vins auront de la consistance, plus les calcaires s’imposent, plus les textures s’engageront vers le soyeux. Un équilibre entre argiles et calcaire génère des textures plus veloutées… Le dégustateur géo-sensoriel est ainsi invité à bien connaître le terroir pour en apprécier l’originalité. Il pratique par poly-sensorialité sans faire de la dimension aromatique le marqueur majeur de la qualité du vin, et surtout de son originalité. Il n’ignore cependant pas la dimension aromatique du vin, surtout quand ce dernier prend de l’âge et que l’on parle de bouquet. Dans sa jeunesse le grand vin, surtout s’il est élevé en fût neuf, développe majoritairement des odeurs de toasté associées aux odeurs caractéristiques du cépage.

D’une manière générale on peut dire que l’analyse sensorielle, avec le primat de l’olfaction, simplifie la dégustation. Le cerveau, sollicité par les trois « coups de nez », cherche à affiner la recherche des arômes une fois le vin en bouche. La puissance, l’alcool et l’acidité seront bien sûr appréciées en bouche, et contribuera à l’évaluation qualitative du vin.

Par la dégustation géo-sensorielle, le dégustateur recherche la signature originale du lieu par une attention à la consistance, à la souplesse (flexibilité de la consistance), à la vivacité, à la viscosité, à la texture, à la persistance aromatique, le tout générant une forme du vin, signature de son terroir. C’est la quête de l’origine plus que de la typicité et de la qualité qui est recherchée. Bien sûr, si le vin n’est pas ressenti comme bon, on s’interrogera sur la cause qui relève de la façon dont il a été fait (problème de vinification, d’élevage, d’embouteillage, etc…) ».

 

Question. Le monde du vin d’aujourd’hui est-il plus intéressant, plus diversifié, plus qualitatif que celui d’hier ou est-ce que c’était meilleur avant ?

Réponse. « Le monde du vin aujourd’hui est beaucoup plus vaste que celui d’hier, avec l’arrivée massive des vins dits du « Nouveau Monde », emmenés par la Californie et l’Australie dans le dernier quart du XXème siècle. L’Australie affichait fièrement un développement d’une industrie du vin, soutenu par l’Etat. En septembre 2001, le BusinessWeek affichait comme titre « Wine War. How American and Australian wines are stomping the French ». Le monde du vin ne pouvait plus être comme celui d’avant.

Il y a toujours eu des grands vins et des vins ordinaires, au moins depuis l’Egypte antique. Les grands vins étaient toujours des vins qui affichaient une origine. L’Egypte fit les plus grands vins, suivie par la Grèce, puis par l’Italie. A partir de la Chute de l’Empire romain, c’est la France qui fera les plus grands vins, tous affichant une origine. Il y eut une guerre du vin entre la Champagne et la Bourgogne au Moyen Âge pour être au sommet ! Sous Louis XIV, ce sont les vins de Bourgogne qui s’imposent. Napoléon, plus tard, fera du Chambertin son vin favori… Au XXème siècle les choses changent. Dorénavant ce n’est plus obligatoirement l’origine qui fait le grand vin ! Fini la supériorité de certains « Hauts-Lieux viticoles ». Dorénavant il peut y avoir des grands vins de cépage et de marque ! Le « Jugement de Paris », en 1976, voit deux vins de cépage et de marque californiens battre des grands vins de terroirs français !

 

Du coup, de nos jours, à la question : « Qu’est-ce qu’un grand vin ? » deux possibilités s’imposent :

Le grand vin est-il un vin qui affiche une origine et qui délivre le message gustatif de son lieu de naissance ? (Romanée-Conti, Chambertin, Côte Rôtie, Hermitage, Petrus…)

Le grand vin est-il issu de la construction d’un goût ? (Grange Penfold, Scream Eagle…)

Du coup difficile de répondre à la question de savoir si le monde du vin était plus intéressant avant. C’est d’autant plus difficile que la question de la qualité prend de plus en plus de place par rapport à la question de l’origine. Pour les critiques en vin les plus en vue, c’est la note qui définit la qualité du vin. A plus de 95 sur 100, le vin est considéré comme exceptionnel, on se l’arrache et les prix s’envolent !

Ayant été depuis la fin des années 1960 un militant de la cause des terroirs et des bonnes pratiques pour le servir, je considère que le monde du vin allait mieux avant la généralisation de la chimie dans les vignes et dans les chais. Cependant, depuis les années 1980 le réveil des terroirs et des bonnes pratiques pour le servir est en cours, ainsi le monde du vin d’aujourd’hui est-il de plus en plus intéressant !

 

Question. J’ai l’impression que votre livre arrive à point, dans un monde qui change, que ce soit le plan des bouleversements climatiques comme des tendances. Le milieu du vin n’y échappe pas. Êtes-vous optimiste pour la suite des choses ?

Réponse. « Oui ! Il y a des raisons d’être optimiste aujourd’hui. Les médias consacrés au vin n’ont pas suffisamment mis en évidence l’importance du classement des « climats du vignoble de Bourgogne » sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, depuis le 4 juillet 2015. « Ils sont le berceau et l’archétype de la viticulture de terroir dans le monde ». Même si la notion de terroir est contestée, voir niée, la viticulture de lieux, de « hauts-lieux viticoles », est considérée comme ayant une valeur universelle. La viticulture de terroir, avec les « climats » de Bourgogne comme modèle, peut inspirer toutes les viticultures du monde. Les « climats » de Bourgogne ne donnent pas des vins supérieurs aux autres, ils inspirent toutes les viticultures de terroir. C’est ainsi qu’ils aident des vignerons champenois comme Anselme Selosse, Pascal Agrapart ou Alexandre Chartogne à rappeler qu’il faut se recentrer sur les terroirs en Champagne, à un consultant bordelais comme Stéphane Derenoncourt d’insister sur la valorisation des terroirs et des bonnes pratiques en Bordelais… Ted Lemon, en Californie, est à la quête de « terres nobles » pour des vins de lieux qui affichent tous le nom de leur lieu d’origine.

 

Que les vins de Bourgogne soient les plus recherchés au monde aujourd’hui est une bonne raison d’espérer l’arrivée sur nos tables de plus en plus de vins sincères, sains, des vins au plus près de leur « Nature ». Seule ombre au tableau, les prix des grands crus explosent, ceux des premiers crus également, et les vins des vignerons les plus célèbres sont de plus en plus réservés aux grandes fortunes !

 

Le grand vin de terroir, issu de bonnes pratiques respectueuses des équilibres naturels du lieu, va contribuer à sauver la planète.  Il montre la voie d’une viticulture d’inspiration biologique, biodynamique ou d’agroforesterie qui devrait déboucher sur la généralisation d’une agriculture « saine ». On doit passer d’une agriculture industrielle chimique destructrice de la vie dans les sols à une agronomie d’inspiration biologique respectueuse des équilibres naturels de la planète.

 

Le vin de terroir, c’est le vin de « hauts-lieux viticole ». Il relève de l’esthétique et de l’éthique. Chaque vin de lieu renvoie à un idéal de beauté. Il relève de la virtuosité et du raffinement plus que de la technique. En osmose avec le lieu, le vigneron de terroir se doit d’être un artisan, voir un artiste, plutôt que d’être un œnologue ou un « winemaker ». L’éthique accompagne tous ses gestes, de la vigne à la cave, dans le respect constant de la Nature. La nature fonctionnait avant que l’homme n’en comprenne les lois. A chaque fois qu’il intervient sur elle, il doit se demander si ce qu’il fait sur elle est bon pour elle. La viticulture de terroir renoue avec la sagesse des premiers initiateurs de la rationalité au VIème siècle avant notre ère (Thalès, Anaximandre…), avec ce que Spinoza nous a rappelé : « La vie est la puissance même de la nature, c’est par elle que nous existons ».

 

Question. Tu mentionnes le cru Liber Pater crée en 2007 par le bordelais Loïs Pasquet en page 60 en le qualifiant de « grand vin ». Les notions de terroir, de finesse et de pratiques saines, sans artifices œnologiques le consacrent. Est-ce à dire que d’autres grands vins sont à venir ou n’ont pas encore été « découvert », au-delà des considérations mercantiles trop souvent liées à la rareté du produit ?

Réponse. « L’aventure de Loïc Pasquet est riche d’enseignement. Désireux de retrouver le goût du vin de Bordeaux d’avant le phylloxéra, il a décidé de trouver un terroir où la vigne franche de pied, c’est-à-dire non greffée sur porte greffe américain pour résister à l’insecte ravageur, pouvait à nouveau se développer harmonieusement. Il a trouvé un excellent terroir sablonneux sur l’anticlinal de Landiras, dans les Graves, où on fit jadis de grands vins. Il y a replanté les cépages historiques, franc de pied, pour un vin qui délivre le message gustatif original du lieu.

Pourquoi est-il si cher ? Tout simplement parce qu’il est rare et que ce vin a été découvert par des amateurs fortunés indiens, russes et chinois qui n’ont pas hésité à le payer cher pour être sûrs de l’obtenir. Un effet de la mondialisation où le grand vin est considéré comme un signe majeur de réussite, comme les montres ou les voitures de luxe…

Cependant, il existe d’autres vignobles historiques qui renaissent un peu partout en France et en Europe, et une quête de nouveaux terroirs existe dans des pays qui s’engagent récemment dans la viticulture.

 

Quelques exemples :

On peut citer XiaoLing né sur les coteaux du Haut-Mécong (Yunnan), sur les contreforts de l’Himalaya, où Sylvain Pitiot, ex-régisseur du Clos de Tart, est consultant. Première cuvée en 2014 avec 3000 bouteilles.

En France, le meilleur du vignoble historique de Laon, créé par des moines bénédictins, en limite de l’appellation Champagne, est en train de renaître. Stéphane Derenoncourt est consultant, et je suis de très près ce nouveau projet viticole. Premier millésime attendu pour 2025 !

En Toscane, Pasquale Forte a initié un nouveau vignoble, en limite de l’appellation « Brunello de Montalcino » : Podere Forte. Une trentaine d’hectares, dont deux et demi en vignes franches de pied, ont été planté au sein d’une propriété de 200 hectares où il y a aussi forêt et maquis. Culture biodynamique, avec ferme biodynamique avec moutons, vaches, cochons… Par la dégustation géo-sensorielle, je l’aide à identifier des « climats », à la bourguignonne. Deux sont déjà identifiés et commercialisé : Melo et Anfiteatro. Trois autres lieux-dits (climats) sont en cours de compréhension géo-sensorielle.

Un petit vignoble bénédictin est revenu dans la lumière en Pologne, où la vodka a pris le pas sur le vin. Mais ce dernier peut prendre sa revanche !

En Californie, Ted Lemon (Littorai) est le chef de file d’une viticulture de « climats » : Mays Canyon, Hirsch, Savoy, One Acre…

 

Question. Beaucoup des lecteurs ou des amateurs rencontrés ne jurent par les vins bios ou natures. Est-ce votre vision des choses ? Mieux, faudrait-il préférer un vin traditionnel bien fait à un vin bio ou nature qui manquent d’intégrité ?

Réponse. « Les plus grands vins de terroir sont issus d’une viticulture et d’une vinification les plus proches possible de la nature, sans intrants chimiques ou biochimique, si ce n’est un peu de soufre, si possible naturel. Quand on demandait à Henri Jayer quel était le secret de la grandeur de ses vins, il aimait à dire : « Je laisse faire la nature ». Cela ne signifiait pas qu’il ne faisait rien, mais qu’il faisait en amont un travail à la vigne qui permettait la production de raisins à la maturité optimale des peaux et des pépins. Sans produits chimiques à la vigne et en cuverie, les raisins exprimaient la vérité du lieu !

L’arrivée de nouveaux vignerons, producteurs de « vins natures », s’inscrit dans un vaste mouvement de retour à la nature. On peut donc s’en réjouir dans un monde agricole et viticole engagé dans le productivisme et qui est la cause majeure de la destruction de la biodiversité. 75 % de la biodiversité a disparu en Europe en cinquante ans ! On estime à 30 % la production de gaz à effet de serre causée par l’agriculture intensive. L’arrivée de ces vignerons « nature » va donc dans le bon sens pour un retour à une viticulture non polluante.

Cependant, ce courant des « vins nature » génère beaucoup trop de vins aux goûts de piqure acétique, d’écurie ou de souris… Cela est dû à la prolifération de bactéries et de levures indésirables, comme les brettanomyces, par exemple, qui donnent ces odeurs de sueur, de cuir, d’écurie… On pourrait éviter cela avec un minimum de couverture par le soufre. Il ne faudrait donc pas passer d’une standardisation technologique qui donne des vins bien faits mais uniformisés et banalisés, les mêmes sur toute la planète, à une autre forme de standardisation liée à des méthodes de vinification laxistes… Les marqueurs de défauts sont plus puissants que le terroir ! Comme le dit fort à propos Bruno Quenioux : « Quand on boit un vin qui pue, c’est qu’il est avarié. Quand tu as une viande qui pue, tu la manges toi ? »

C’est pour cela que je distingue le « vin au naturel » et le « vin nature ». Comme le dit fort justement Ted Lemon, « Les méthodes biodynamiques viennent accompagner les bonnes pratiques physiques de l’agriculture ».

 

 

Autre piste de réflexion.

La critique « vin » de culture anglo-saxonne a pris le pas sur la critique « vin » latine. Les critiques en vin modernes ont été marqués par la puissance de Robert Parker et sa note sur 100. Ils pratiquent tous l’analyse sensorielle, avec le primat de la dimension aromatique du vin et la centration sur sa puissance en bouche. Tous les vins du monde méritent le même traitement. Ils sont évalués et notés sur 100. On se centre essentiellement sur les qualités du vin, qualités aromatiques et gustatives.

 

La dégustation géo-sensorielle se centre d’abord sur la lecture du message du lieu, en activant sa poly-sensorialité. Le vin n’est pas fait pour être jugé, mais pour être compris : quel message de lieu délivre-t-il ? On peut penser que la dégustation géo-sensorielle aidera la critique « vin » latine à remettre le vin de lieu sur le devant de la scène et contribuera à apprendre à l’amateur à le ressentir comme à le comprendre. Elle accompagne bien sûr tous les vignerons qui souhaitent se recentrer sur une viticulture de lieu respectueuse des équilibres naturel. Comme l’a bien proclamé Jacques Puisais, créateur de l’Institut Français du Goût, « Le vin doit avoir la gueule de l’endroit et les tripes de l’homme… Au fond du verre, je veux retrouver le paysage du lieu où je suis. »

 

Un militant inconditionnel du grand vin comme un vin d’origine

« En écrivant ce livre – LE MONDE DU VIN D’AUJOURD’HUI (Éd. Terres en Vues) – fruit d’une quarantaine d’années au service de la défense des vins de terroir, j’ai voulu aussi dire que si je reste optimiste quant à leur avenir, je suis inquiet par cette décision d’avoir transformé l’Institut National des Appellations d’Origine en Institut National des Appellations d’Origine et de la Qualité, pour satisfaire aux exigences de l’Europe. J’ai repris le commentaire de mon ami Périco Légasse, page 49, qui pose clairement le problème dans son Encyclopédie impertinente de la gastronomie : « Dès lors que l’on introduit le concept qualitatif dans la définition d’une origine, on fait entrer les lois du marché, donc des intérêts financiers, dans un processus où ce concept n’a pas sa place. Ceux qui ont imposé cette réforme, entendez le négoce et le lobby agroalimentaire, savaient très bien ce qu’ils faisaient. Jusqu’en 2009, l’INAO avait une éthique. Il a désormais des objectifs. Autrement dit, il a pour mission de promouvoir les produits français dans le commerce, en totale négation, voire trahison, de ses principes fondateurs. Une honte. » 

 

La dégustation géo-sensorielle accompagne donc cette volonté chère à des vignerons comme Jean-Michel Deiss en Alsace et Stéphane Derenoncourt en Bordelais de faire vivre cette philosophie des vins d’origine. C’est la raison pour laquelle nous avons fait créer à l’Université de Strasbourg le diplôme d’Université : « Vers le terroir viticole par la dégustation géo-sensorielle ». Le diplôme que j’avais fait créer à l’Université de Bourgogne, « Pratique de la dégustation par la connaissance des terroirs » n’affirme malheureusement plus essentiellement la dégustation géo-sensorielle !

 

La défense des vins de lieu, des vins d’origine, des vins de terroirs, reste un combat ! »

 

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[1] J. F. Audibert, L’Art de faire les vins d’imitation, 10ème édition, 1896. On y trouve, pages 98 et 99, la recette pour fabriquer le Bordeaux Ordinaire et le Bordeaux Château-Lafitte, comme celle du Bourgogne ordinaire et du Bourgogne Chambertin, avec des raisins secs (Roi de Grèce), du vin rouge du Roussillon, une infusion de coques d’amandes, de brou de noix, de romarin et un extrait de framboise…, associés avec du caramel alcoolisé si on veut faire du vin vieux. Cet œnologue reçut décorations et prix !!

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