L’âme soeur

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Le vin est-il un produit de consommation comme un autre ? Je sens déjà cette chronique mal barrée ! Car oui, comment puis-je aligner dans une même phrase les mots « vin », « produit » et « consommation » sans m’attirer les foudres (ou feuillettes, c’est plus gentil) des Dionysos, Bacchus et compagnie ? Bien sûr, tout dépend de l’angle qu’il vous intéresse de mettre en lumière. Élargissons-le, cet angle, justement.

Produit de consommation

Quelle n’a pas été ma surprise lorsqu’un jour, lors de la visite d’un très chic dépanneur de la ville de Phoenix, en Arizona, de retrouver, côte à côte, dans la section réfrigérée, une pinte de lait et un grand champagne de marque dont je tairai le nom sous peine de m’attirer d’autres foudres et demi-muids, ce qui commence à faire beaucoup.

La scène avait tout de même du piquant. Ramener à un vulgaire produit de consommation (désolé, les vaches) la bulle de Reims et d’Épernay a tout de même de quoi provoquer ici une montée de lactosérum à vous faire le bonheur d’un producteur de fromage en grains. Mais encore — faut-il le souligner —, cueillir en même temps le lait pour les céréales du matin et le champagne pour les bacchanales du soir relève à mon sens d’un sens pratique qui honore toutefois nos voisins étasuniens. « Sont pas si barjos que ça, après tout, ces Ricains ! » aurait lancé Astérix.

Chaque produit trouve sa place et se fout des hiérarchies. Du moins, présenté dans le contexte de cette anecdote. Le commerce n’a que faire du placement de produits pourvu qu’il vende. Vu sous cet angle, difficile de jouer les snobs de service. Ce grand seigneur champenois expatrié au pays des laitages ne pourra dissimuler le fait que le vin, quel qu’il soit, est produit pour être ultimement écoulé sur le marché. Le vigneron doit gagner sa croûte après tout. Et la vache se sentir utile. Un pis-aller somme toute honorable.

Prestige et rareté

Le vin dit « commercial », livré à gros volumes, apatride de statut et d’âme, constitue le lot de la production mondiale et s’inscrit comme étant le produit de consommation type. Il trouve preneur parmi celles et ceux qui veulent un verre de vin, point à la ligne. La base de la pyramide en somme.

Tout en haut de celle-ci, ces crus de niche pour gens riches, bus mais surtout entreposés comme des lingots d’or par ces 3 % « d’investisseurs » plus près de leurs sous que leurs émotions. Prestige et rareté sont ici au cœur d’une démarche qui tient plus d’une dynamique commerciale intéressée que d’une volonté désintéressée de jouir de beau vin, pour ce qu’il est. La barre est haute cependant pour le domaine ou le château du vin en question non seulement d’être à la hauteur des attentes gustatives (et du système de notation qui en justifie et pérennise les prix), mais aussi d’éviter de dévier de cette typicité de goût recherchée au fil des millésimes par l’acheteur fortuné.

Et puis, quelque part entre ces deux réalités, ces vignerons pour qui « trouver celui qui aime mon vin » justifie leur travail, mais surtout s’inscrit dans une démarche qui relève de cette quête de trouver l’âme sœur. La formule m’a été rapportée par un importateur pour qui l’un de ses fournisseurs vignerons italiens tenait absolument à susciter cette complicité entre le vin qu’il élabore et celle ou celui qui sauront l’apprécier sans préjugés ni arrière-pensées.

L’idée me plaît. Elle me plaît d’autant plus qu’elle inscrit le vin bien au-delà du simple produit de consommation. Un lien altruiste, une ascendance spirituelle et fraternelle s’en dégagent, renforçant du coup cette citation de la grande Colette qui veut que « Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre ». Et que je compléterais par: « Nombreux sont ces humbles vignerons qui nous ouvrent leur cœur en espérant toucher le vôtre. » En ces temps de distanciation, trouver l’âme sœur par le vin semble d’une troublante humanité.

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