Franciacorta: l’autre Champagne

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À moins d’habiter une autre planète, le mot champagne vous semblera sans doute familier. Sur la nôtre en tout cas, ce terme s’apparente avant tout à une marque, sans doute trop célèbre et sûre d’elle-même pour être déposée, mais aussi à une région délimitée de plus de 34 000 hectares de vignobles, ainsi qu’à une méthode (champenoise), dont la dénomination est bien évidemment proscrite d’utilisation pour tous marchands de bulles des autres coins de la planète ronde qui seraient tentés d’en faire mention sur l’étiquette, sous peine de poursuites pénibles, sinon pénales. C’est qu’on ne badine pas avec la bulle ! Surtout champenoise.

J’apprenais récemment de la bouche même de Maurizio Zanella, de la maison italienne Ca’del Bosco, en appellation franciacorta, qu’il n’existe que deux régions viticoles consacrées aux vins effervescents exemptées d’inscrire la mention « vin mousseux » sur l’étiquette de la bouteille. Selon les pays, crémants, sekt, spumante, cava et autres vins pétillants y sont contraints, mais aucunement les appellations champagne et, vous l’aurez deviné, franciacorta. Pourquoi ? Mystère.

Une chose est sûre, Annamaria Clementi, la mère du jeune Maurizio (alors âgé de 15 ans), responsable à l’époque de la première parcelle du vignoble familial du côté d’Erbusco, au sud du lac Iseo, en appellation franciacorta, ne s’y était pas trompée. Flairait-elle déjà le potentiel régional d’une appellation qui, plus d’un demi-siècle après l’obtention de son statut de DOC (Denominazione di origine controllata – DOCG en 1995), allait livrer l’une des meilleures, sinon la meilleure méthode traditionnelle après celle de la Champagne ?

Une intuition féminine qui ne se dément certes pas, vu le chemin parcouru depuis qu’un certain Franco Ziliani (maison Guido Berlucchi) « champagnisait » la région dès le milieu des années 1950, convaincu de rivaliser à armes égales avec les seigneurs de Reims et d’Épernay, qui avaient pourtant près de cinq siècles d’expertise sous le bouchon. Suivront sur place les Bellavista, Cavalleri, Monte Rossa, Curbastro, Giacomini, Uberti et, bien sûr, Ca’del Bosco, autant de récoltants-manipulants consacrés à « champagniser » des pinots (blancs, gris et noirs) et des chardonnays d’exception.

La méthode Zanella

J’ai toujours aimé ces perles lombardes. Je me souviens, au début des années 1980, d’un Maurizio Zanella élevé au statut de star et dont la réputation débordait déjà les frontières de son coin de pays, un homme entier, festif, débonnaire et généreux, mais aussi obsédé par tous ces petits détails qui tracent en amont la qualité du produit. L’homme s’est depuis assagi. Ses vignes ont gagné en sagesse et ses vins en précision.

« Nous ne sommes qu’entre 60 et 70 % de notre potentiel en franciacorta », précise Zanella avant d’enchaîner qu’avec environ 3000 hectares de vignobles (soit autour de 10 % du vignoble champenois), la région a une longueur d’avance en pratiquant une agriculture agrobiologique dans une proportion de 70 %. Obnubilé par les moindres résidus de métaux pouvant coloniser la pruine des baies, l’homme a développé un système – Berry Spa – qui, comme son nom l’indique, assure lors d’un convoyage rapide et efficace, un prélavage, un lavage et un rinçage des baies, histoire d’assurer l’intégrité physique maximale des jus lors des fermentations qui suivront. De la science-fiction tout ça ? Les trois cuvées dégustées m’ont en tout cas placé en orbite !

Franciacorta Brut Cuvée Prestige (44,75 $ — 11008024). Le vaisseau amiral, qui compte pour 70 % de la production. Une solide base des meilleurs chardonnays (et pinots blancs et noirs) issus de 96 vignobles, de plus de 20 % de vin de réserve et de 28 mois sur lattes pour un mousseux exquis, magique, finement tendu par une texture de rêve. (5+) ★★★ 1/2

Franciacorta Brut Satèn Vintage Collection 2013 (74 $ — 11791733). Satèn ? Je traduirais par « soie ». L’équivalent d’un crémant avec moins de pression, qui confère aux chardonnays et aux pinots noirs passés en fût, mis en bulles puis « couchés » pour environ 48 mois à l’ombre, une texture délicate des plus affriolantes, des plus sexy même ! (5) ★★★★

Franciacorta Brut Riserva AnnaMaria Clementi 2009 (139 $ — 14140792). Hommage à la grande dame pour une cuvée, n’ayons pas peur des mots, qui rivalise avec les tops cuvées champenoises ! Issu de vieilles vignes principalement en blanc et élaboré dans les meilleures années, fermenté en fût et enrichi d’un séjour de plus de 84 mois sur lies fines, cet hommage convainc en raison de sa plénitude et de la sève émancipée qui l’anime. (5) ★★★★

Légende

(5) à boire d’ici cinq ans
(5+) se conserve plus de cinq ans
(10+) se conserve dix ans ou plus
© devrait séjourner en carafe
★ appréciation en cinq étoiles

5 Octobre 2019

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